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l’honnêteté de son ame. Pour toute réponse, je lui tendis la main. Il vint à la maison et me demanda en mariage. Ma vieille parente, heureuse de se débarrasser de moi, ne fit point d’opposition. J’épousai Antonio Alessi. La joie et l’amour habitèrent dans notre ménage tant qu’il fut là, le pauvre Antonio, Il travaillait à la fabrique des cartes à jouer. Au bout d’un an, je lui donnai un bel enfant, qui fait à cette heure toute ma consolation. Je ne sais quelle fatale idée vint à mon mari d’aller voir un cousin qu’il avait à Syracuse. Il partit malgré mes pressentimens. Trois jours après, il m’écrivit une lettre désespérée dans laquelle il m’annonçait son engagement comme matelot à bord d’un vaisseau. Le cousin de Syracuse m’apprit ensuite que mon Antonio ayant quelquefois navigué dans une speronare, ses connaissances en marine et son air déterminé avaient attiré l’attention d’un enrôleur de matelots. On chercha d’abord à le séduire ; comme il résistait, on lui tendit un piège, et on l’aida un peu à s’engager volontairement par des menaces et des coups de bâton.

— Corps du Christ ! s’écria le marquis, la presse des marins n’est pas permise ici.

— Tout ce qui se fait n’est pas toujours permis.

— Il fallait réclamer, crier, jeter feu et flamme.

— Chaque jour amène ses fatigues, reprit Carmina. Mon enfant a six mois. Pour le nourrir, il faut que je me nourrisse moi-même. Ne savez-vous pas qu’à solliciter on perd son temps et sa peine en ce pays-ci ? Quand je travaille trop, mon lait s’échauffe. Je voudrais dormir, et le chagrin m’en empêche. Je pleure, et je me reproche mes larmes. Tandis qu’une voisine gardait mon enfant, je viens d’offrir un petit cierge à sainte Agathe, et je vous demande si, en sortant de là, je pouvais être disposée à rire aux dépens de mon prochain.

Devant la maison de Carmina, le marquis demanda la permission d’entrer pour voir le nourrisson, ce qui lui fut accordé avec empressement. Il tourna autour du berceau, découvrit un peu l’enfant dont il admira la mine fraîche et les bras potelés : — Le beau marmot ! dit-il en se frottant les mains. On n’en fait point assez comme celui-là. Ce serait grand dommage de perdre ce fruit de la Sicile. Pour le conserver, nous veillerons sur la mère.

À la voix du seigneur Germano, l’enfant ouvrit les yeux et poussa des cris aigus ; la force de ses poumons fut un nouveau sujet d’enthousiasme pour le marquis. Quand Carmina eut rendormi le marmot, elle prit son ouvrage ; mais à peine eut-elle fait trois points, qu’il lui fallut quitter l’aiguille pour retourner au berceau et chanter une chanson.

— Ne vous agitez pas ainsi, dit le marquis. Chantez en travaillant, tandis que je bercerai le bambin.

Carmina chanta une complainte de nourrice, dont le refrain était :