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tour, lorsque le seigneur Germano lui toucha le menton et lui déposa un baiser sur le front en lui disant : — Voilà pour t’apprendre que tu es bonne à marier. Quoiqu’il n’y ait rien de plus aimable que d’être belle sans le savoir, il faut pourtant que cela finisse. Adieu, ma mie. Dans quinze jours, nous commanderons ta robe de noce.


II

Pendant quinze jours, le marquis vint tous les matins à la ferme savourer la limonade au miel préparée par la belle Zita, et disserter, sur l’élève des chèvres et la fécondité des poules avec autant de plaisir que s’il se fût agi des révolutions du globe. Cette simplicité de mœurs, qui pourrait sembler étrange en France, est fort ordinaire en Sicile. La compagnie de la villa Germana ne s’en étonna point, et l’on n’aurait jamais donné au marquis le nom de mezzo-matto, s’il ne l’eût mérité par d’autres singularités. Le quinzième jour arrivé ; le seigneur Germano demanda au bonhomme Matteo où était son gendre.

— J’attends, répondit le père, que votre seigneurie me le présente ; je l’accepterai les yeux fermés, et il sera bien reçu de tout le monde ici.

— Mon choix est fait, reprit le marquis. Demain je vous amènerai l’homme sur qui j’ai jeté les yeux, et si la Zita le trouve à son goût, nous conclurons tout de suite.

En retournant chez lui, le seigneur Germano descendait au pas un sentier tortueux, lorsqu’il entendit une voix de contralto d’une force prodigieuse qui l’appelait de bien loin. Il arrêta son mulet pour chercher d’où venaient ces cris. Au bout de cinq minutes, il aperçut une femme qui courait au faite de la montagne. Bientôt une paire de talons nus fit résonner la terre du sentier, et la Zita parut, à peine essoufflée par une traite d’un mille à toutes jambes.

— Excellence, dit-elle, je pensais que cette fantaisie de me marier vous sortirait de la tête, et que ce délai de quinze jours était une plaisanterie. Puisque tout cela est sérieux, il faut que je vous parle : j’ai un amoureux ; je n’ai point osé l’avouer à mon père. Vous seriez bien bon, si vous vouliez faire semblant de choisir précisément celui dont je deviendrais la femme plus volontiers que de tout autre.

— Fille sournoise, répondit le marquis, pourquoi me dire cela au dernier moment, quand j’ai déjà formé d’autres projets ? Ton amoureux est-il au moins jeune, ardent, beau de visage et d’une haute stature ? car, pour rien au monde, je ne consentirais à te marier avec un homme contrefait ou rachitique.

— Excellence, c’est un garçon de vingt et un ans qui nous battrait tous deux d’une seule main ; il a de l’esprit et il compose des chansons si jolies que je l’écouterais chanter du matin au soir ; mais ce n’est