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riche devait se marier de bonne heure, et on lui proposa de brillans partis : notre homme ne voulut pas en entendre parler, et pria les officieux de le laisser vivre à sa guise.

Des invitations furent envoyées de la villa Germana aux savans, aux artistes et aux poètes de la Sicile. On y vint de tous les coins de cette île, qui a toujours produit beaucoup de vers et de chansons. Les commensaux les plus sérieux de la maison ne manquèrent pas de s’enquérir des travaux d’un jeune homme si sage ; ils s’attendaient à voir sortir de son cabinet quelque ouvrage d’une érudition solide. Leur surprise fut grande quand le marquis leur apprit que son intention n’était point d’entrer en communication avec le public, qu’il ne prétendait cultiver les sciences que pour son amusement, et que le véritable bonheur d’un philosophe était précisément de ne chercher ni la gloire, ni le bruit, de ne faire aucun usage de son instruction, et de s’endormir plus content d’une bonne action que du succès d’un gros livre. Au rebours des savans ordinaires qui se passionnent chaque jour davantage pour leurs occupations, le seigneur Germano négligea peu à peu la géologie et les ruines antiques. L’encre se figea dans son écritoire. Ses amis lui reprochèrent d’abandonner l’étude ; il leur répondit qu’en prenant de l’âge, il fallait devenir raisonnable, connaître le prix du temps, et retrancher sur les heures de récréation. Les amis eurent bien de la peine à s’empêcher de rire en songeant que le marquis passait des matinées entières dans son jardin, vêtu de sa robe de chambre, à s’entretenir gravement avec son jardinier, et qu’il maniait lui-même la serpe et l’arrosoir pour tailler des arbustes et arroser les fleurs les plus simples.

Un jour, le seigneur Germano demanda sa berline de voyage, et se fit conduire dans ses diverses propriétés. Il avait des fermes à Taormine, des vignes d’un grand rapport sur le penchant de l’Etna, des maisons à Catane. Il employa huit jours à examiner toutes choses, à interroger les gens et à prendre des notes. En revenant à Messine, il appela son intendant : « Je savais depuis long-temps que tu me volais ; lui dit-il avec douceur ; mais, avant de te congédier, j’ai voulu m’assurer que tu aurais de quoi vivre en sortant de chez moi, car je vais donner en ta personne une leçon aux serviteurs infidèles. Comme tu seras repoussé de tout le monde, j’ai attendu que tu fusses pourvu. Aujourd’hui, tes larcins se montent à six mille ducats ; avec cela, tu ne manqueras de rien dans tes vieux jours, si tu as de l’ordre ; en conséquence, je puis te chasser et te dire que tu es un coquin. » L’intendant, confondu de voir son patron si bien instruit, fut en même temps ravi de le trouver si indulgent : il confessa ingénument ses friponneries, et partit avec le butin qu’on lui laissait. Depuis ce moment, le seigneur Germano administra sa fortune lui-même. On le félicita d’avoir