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fussent les vrais descendans des glorieux et vigoureux Berserkers. Irrité, humilié de cette décadence de l’espèce humaine, son sentiment ordinaire était un sombre dépit que l’étude ou le souvenir des siècles passés transformait en un lyrisme bizarre. Couché par terre, un morceau de craie ou bien un charbon dans la main, il écrivait sur le plancher de sa chambre, sur les murs, sur un chilien de papier, des vers que ses amis recueillaient ensuite. On a ainsi publié de lui plusieurs compositions dramatiques et de grands poèmes sur l’ancien peuple des Ases et sur Gylfe, le souverain de la Suède avant l’arrivée d’Odin. Sa poésie est ardente, quelquefois sauvage, toujours élevée et généreuse. Ling ne se montrait en public qu’enveloppé d’une peau de loup qui couvrait tout son corps et ne laissait voir que sa petite tête et ses yeux persans. Alerte et robuste, il aimait les exercices du corps, montait à cheval, nageait et courait ; il étudia avec une prédilection spéciale la gymnastique, lui donnant pour double base l’anatomie et la physiologie, ces deux sciences qui nous font connaître, disait-il, le chef-d’œuvre de la création, le corps humain, et qui révèlent à l’homme à la fois combien il est faible et combien il est grand. Admirateur de l’éducation spartiate, Ling en vint à proclamer que la gymnastique pouvait seule régénérer la Suède, et son système, appliqué en 1813 dans les écoles de l’état, ainsi que dans l’armée, fut promptement adopté par le Danemark et l’Allemagne. Aujourd’hui même, M. Branting, son élève dévoué, continue et développe avec succès à Stockholm l’enseignement dont Ling a posé les premiers principes[1].

Ling n’avait pas seul conçu l’idée féconde de rendre à la Suède une vigueur nouvelle en lui proposant pour modèles ses propres héros et l’histoire de ses premiers temps. Fiers de leur patrie, Tegner et Geijer, les deux plus grands noms de la littérature suédoise, s’étaient imaginé, eux aussi, que son passé était assez glorieux, assez riche en beaux exemples et en tableaux poétiques pour inspirer les poètes, les soldats, les citoyens de la Scandinavie. Aux récits des héroïques aventures dont le Viking ou le Berserker serait le héros, ils voulurent ajouter le tableau de la belle nature que le Nord étalait à leurs yeux. Réveiller le culte de la patrie scandinave, rappeler à la culture d’un sol jadis fertile les historiens et les poètes, leur ouvrir de nouveau les livres vénérables des anciennes sagas et les ramener de l’imitation servile des littératures étrangères à cette source domestique et féconde, tel fut le

  1. M. Branting a même étendu le système de Ling en appliquant la gymnastique, comme un art médical, à la guérison d’un assez grand nombre d’infirmités et de maladies. On ne visite pas sans un vif intérêt le gymnase central de Stockholm : il est curieux d’y voir fit. Branting donner par écrit pour chacun de ses malades une ordonnance prescrivant, avec une grande précision de détails, les mouvemens nécessaires, ou bien surveillant lui-même, d’un regard plein de finesse et de bonté, le traitement que ses aides appliquent au malade.