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donnait un air de philosophe moissonneur passablement hétéroclite ; mais, malgré le désordre de ses vêtemens et son linge chiffonné, je reconnus en lui un homme d’excellente compagnie. Je ne sais quoi d’intéressant et de noble perçait à travers son masque de Pasquino. Il parlait seul dans la rue, comme s’il eût préparé quelque discours pathétique, en secouant les épaules d’un air si malheureux, que je fus tenté de lui dire : « Ne vous tourmentez pas ainsi ; vous verrez que cela s’arrangera. » Au bout d’un moment, il trouva sans doute une phrase dont l’éloquence le satisfaisait absolument, car il s’arrêta court, en croisant les bras d’un air de triomphe.

On parlait diversement de cet original dans toute la province de l’Etna, où il était fort connu. Les négocians de Messine lui reprochaient d’avoir dissipé follement sa fortune par des goûts dispendieux et des libéralités ; les gros propriétaires de Catane regrettaient qu’un de leurs pareils eût assez mal administré ses biens pour être obligé d’en vendre une partie. Les uns disaient que c’était un esprit vaste, les autres un faux bonhomme ; mais les pauvres gens, les faibles et les affligés de toutes sortes, dont le nombre est grand depuis Messine jusqu’à Noto, avaient en lui un ami, un soutien et un consolateur, et, lorsqu’il venait frapper à la porte d’une masure, on s’écriait en le voyant : « C’est le ciel qui vous envoie ! » Tout cela composait une figure mystérieuse qui excita ma curiosité, et, comme il n’y avait presque personne qui n’eût quelque anecdote à raconter sur ce personnage fantastique, je recueillis bientôt assez de documens pour en faire une sorte de biographie, dont je ne cacherai pas que les bruits publics et les préjugés populaires sont les seules pièces justificatives.

Le marquis Germano *** avait été un des meilleurs élèves du collège des jésuites à Naples. À dix-sept ans, il rentra chez son père avec l’habitude et le goût du travail, en sorte qu’il ajouta aux bons fruits de ses classes cette seconde éducation, non moins utile que la première, qu’on n’acquiert que par beaucoup de méditation et de lecture. Il s’introduisit dans la compagnie des savans et des littérateurs du royaume des Deux-Siciles ; le marquis Gargallo, le professeur Melloni, le célèbre Galuppi, l’aimaient et le considéraient comme celui de leurs successeurs à venir qui donnait les plus belles espérances. La géologie et les recherches sur les antiquités grecques et romaines étaient ses études favorites. À vingt-cinq ans, il perdit son père, et se vit à la tête d’une grande fortune. Après un petit voyage qu’il fit en Italie pour se distraire, le jeune marquis revint à Naples, où on l’avertit que, s’il voulait aller à la cour, il y trouverait des protections et de l’emploi ; mais il répondit qu’il n’avait point d’ambition, et prétexta des travaux de cabinet pour se retirer dans sa villa Germana, située entre Messine et Gallidoro. On pensa que l’unique rejeton d’une famille