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formes de la vie, et je ne comprends pas que M. Guizot ait négligé cette condition si importante de l’histoire.

Le duc de Buckingham, si étourdi, si présomptueux, si hautain, plus encore que Jacques Ier demandait un portrait tracé d’une main sûre, car si la tête de Charles Ier est tombé sous la hache, c’est sur le duc de Buckingham que doit retomber le sang du roi. Jamais courtisan n’a joué plus follement le sort de son maître et de son pays ; jamais favori n’a traité avec un dédain plus superbe, une insouciance plus insultante, les intérêts publics. Je ne réussis pas à deviner pourquoi l’auteur, qui possède à merveille et connaît de longue main tous les faits qui ont rendu la révolution anglaise inévitable, qui a vécu dans la familiarité de tous les personnages de ce drame mémorable, s’est abstenu de les peindre et d’offrir à notre attention tous les traits caractéristiques recueillis par l’histoire. S’abstenir en pareil cas n’est pas faire preuve de sobriété, mais d’inhabileté. Le duc de Buckingham ne devait pas être esquissé en quelques lignes, mais dessiné avec un soin particulier. Ce personnage singulier nous explique en effet toute la conduite de Charles Ier. Le roi, qui a payé de sa tête son aveugle obstination, n’était dans les mains de son favori qu’une marionnette impuissante M. Guizot le sait aussi bien et mieux que nous ; pourquoi donc s’est-il contenté de l’indiquer, au lieu de prodiguer les preuves sur lesquelles repose sa conviction ? Un homme qui a brouillé l’Angleterre avec l’Espagne parce qu’il n’avait pas réussi à la cour de Madrid, qui voulait mettre la France aux prises avec l’Angleterre pour punir Richelieu de sa clairvoyance, et verser le sang de deux nations pour triompher d’Anne d’Autriche, méritait bien un portrait. Je suis d’autant plus étonné de la réserve avec laquelle M. Guizot a traité cette partie si importante de son sujet, qu’avant d’aborder l’histoire de la révolution anglaise, il avait traduit et annoté tous les documens qui se rapportent aux années comprises entre 1625 et 1688. Il pouvait puiser à pleines mains dans cette moisson si abondante et si laborieusement amassée. En ménageant si résolûment le trésor qu’il possédait, il n’a fait preuve ni de goût ni de hardiesse. Maître de son sujet, connaissant depuis long-temps tous les écueils qu’il devait rencontrer sur sa route, il n’avait pas à craindre la tentation des lieux-communs si généreusement prodigués par les esprits vulgaires, si follement applaudis par la foule ignorante. La profondeur de son savoir, la netteté de ses souvenirs, la multitude des preuves qu’il avait réunies, le mettaient à l’abri d’un tel danger. Les lieux-communs ne peuvent séduire que les rhéteurs, et les esprits sérieux, nourris d’études fortes et persévérantes, trouvent en eux-mêmes de quoi résister à ces puérils allèchemens. Quand on a respiré l’air du passé, quand on a conversé avec les générations évanouies, on ne doit redouter ni le paradoxe, ni la banalité.