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qui se rapportent à ce sujet important : aussi ne faut-il pas s’étonner qu’il ait abordé ce thème difficile avec une complète sécurité, car il possédait magistralement tous les élémens qu’il devait mettre en œuvre. La préface seule qui précède son Histoire de la Révolution anglaise suffirait à montrer qu’il n’ignore aucune des parties de son sujet. Il a très nettement défini le caractère général de cette révolution : répondant aux détracteurs et aux admirateurs, il a marqué très clairement la place qu’elle tient dans l’histoire de l’humanité. Il a prouvé sans réplique, il a démontré avec une évidence victorieuse qu’elle ne saurait se confondre avec la révolution française. Familiarisé depuis long-temps avec tous les momens de la biographie humaine, il n’a pas eu de peine à prouver que la révolution anglaise et la révolution française, accomplie cent quarante ans plus tard, sont deux événemens profondément distincts. La révolution anglaise est venue cent vingt-neuf ans après la citation de Luther devant la diète de Worms, et je prends ici la décapitation de Charles Ier comme terme suprême de la révolution, — c’est-à-dire que la révolution anglaise s’est accomplie au nom de la réforme religieuse. Cette révolution voulait introduire dans l’ordre politique la liberté que Luther avait proclamée dans l’ordre religieux. Il n’est permis qu’aux ignorans, et malheureusement le nombre en est encore bien grand malgré l’invention de l’imprimerie, de considérer la révolution anglaise comme un accident inattendu, comme un désastre imprévu qui a bouleversé l’ordre entier de la société. Tous ceux qui ont suivi d’un œil attentif le développement de la race bretonne depuis la conquête romaine jusqu’à la conquête normande, depuis la royauté normande jusqu’à l’avènement des Stuarts, tous ceux qui connaissent les événemens accomplis depuis le débarquement de Guillaume-le-Bâtard jusqu’à la grande charte jurée par le roi Jean, c’est-à-dire de 1066 jusqu’à 1215, tous ceux qui ont étudié l’histoire des Tudors, savent très bien que la révolution anglaise n’est pas un fait inattendu. Non-seulement elle était facile à prévoir, mais il était impossible de la prévenir. La révolution qui s’était opérée dans l’ordre religieux ne pouvait pas manquer de s’opérer dans l’ordre politique. C’est ce que M. Guizot a parfaitement montré. Bien que Henri VIII fût à coup sûr un interprète très infidèle de Luther, il était impossible que la liberté de conscience, proclamée même par un roi, ne se traduisît pas tôt ou tard en liberté politique. Reste à savoir pourquoi cette transformation, cette traduction s’est accomplie en Angleterre plus tôt qu’en France. M. Guizot pose et résout franchement cette question. Il montre aux plus incrédules que la France ne possédait au XVIIe siècle rien de pareil à la charte jurée en 1215, et les preuves qu’il fournit sont tellement abondantes, tellement multipliées, tellement victorieuses, que les théoriciens les plus entêtés sont forcés