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quelconque, prennent la peine d’en sonder les difficultés n’ont pu voir sans étonnement confondre dans un même anathème les doctrines sensualistes qui nient l’existence de l’ame, et le scepticisme qui va jusqu’à nier l’existence du monde extérieur. L’éloge de M. de Tracy dans la bouche de M. Guizot présentait quelque chose d’étrange. Le panégyriste ne connaissait pas le héros qu’il voulait louer. Ses pages sur l’immortalité de l’ame peuvent servir de préface au discours prononcé à l’Académie. J’y retrouve, en effet, le même dédain pour les enseignemens de l’histoire, et j’ajouterai le même dédain pour l’intelligence de la foule. M. Guizot oublie que la foule ne se compose pas exclusivement d’esprits ignorans, et que parmi ceux qui écoutent et qui lisent sa parole il se trouve plus d’un juge familiarisé avec les questions qu’il traite si lestement. Pour ma part, je ne comprends pas qu’un homme qui a passé la meilleure partie de sa vie au milieu des livres s’abuse à ce point sur la crédulité de son auditoire ou de ses lecteurs. Je ne comprends pas que M. Guizot parle de l’immortalité de l’ame et de la philosophie française au XVIIIe siècle comme si personne n’avait encore étudié ces questions. Il est bon sans doute d’avoir foi en soi-même, car, sans la foi en soi-même, il serait impossible d’affronter l’indifférence ou le rire de la foule ; mais il ne faut jamais oublier que le savoir n’est le patrimoine et le privilège de personne.

Qu’il nous entretienne des doctrines de la philosophie sur l’immortalité de l’ame ou des théories françaises sur l’origine et le développement des idées, il étale avec ostentation le même dédain pour ses lecteurs et pour son auditoire. Qu’arrive-t-il ? Son incapacité, qui échappe à la foule, frappe les yeux des hommes qui ont vécu dans le commerce des philosophes, et la forme dogmatique de toutes ses pensées ajoute encore à leur surprise. Ils se demandent comment un esprit droit, qui a fait de la méditation sa plus constante, sa plus chère habitude, peut s’aveugler au point d’ignorer qu’il ignore la solution et jusqu’aux termes des questions philosophiques. Ils se demandent comment il n’a pas compris que la seule manière aujourd’hui, je ne dis pas de rajeunir, mais de traiter ces questions éternelles, inévitables, est de montrer l’impuissance de la physiologie à les résoudre. Si la physiologie, en effet, nous enseigne les fonctions de presque tous nos organes, elle ne sait rien nous dire touchant la formation de nos idées. Or, si les organes n’expliquent pas la pensée, pourquoi la pensée ne survivrait-elle pas à la division de la matière qui forme les organes ? Le rôle de la philosophie commence où finit le rôle de la physiologie. Nos organes, étudiés dans leurs formes et dans leurs fonctions, ne nous apprennent rien sur l’origine de nos connaissances ; pourquoi donc la faculté de savoir, d’imaginer, de conclure, serait-elle liée à la durée de nos organes ? Pourquoi n’existerait-elle pas par elle-même après la disgrégation