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cultiva, loin des broussailles qui couvraient encore le sol natal, les fleurs sans odeur et sans vie d’une rhétorique exotique.

Le principal héros de cette littérature officielle fut le conseiller de chancellerie Léopold, qui, dans la satire, a fait preuve de quelque talent, mais dont les œuvres dramatiques n’offrent qu’une imitation froide et monotone de nos chefs-d’œuvre classiques, et dont la prose est souvent empreinte d’exagération et de mauvais goût[1]. C’était l’esprit du temps d’habiller d’un vêtement moderne la mythologie grecque et l’antiquité classique, et de défigurer, si on les évoquait parfois, les héros des anciennes fables scandinaves. Léopold sacrifia outre mesure à cette manie puérile, et malheureusement il fit école. Une femme d’esprit qui écrivait à cette époque, Mme Lenngrén, semble avoir voulu parodier ces faux brillans dans un curieux morceau où elle nous montre l’Olympe transformé en un salon de Stockholm, et les dieux conversant entre eux ou jouant au loto, tandis que Jupiter caresse tranquillement son tonnerre et boit le nectar qui se répand dans sa barbe. « Mars, qui lit son journal, s’écrie, dans l’enthousiasme : — Bravo, Bonaparte ! — Vulcain, debout, avec son marteau en main, forge les foudres et jure entre ses dents contre le maître de l’Olympe. Bacchus, dans son délire, est joyeux et tendre, et Apollon fredonne sur sa lyre. »

On entrevit, dès la fin du règne de Gustave III, les premières lueurs d’une renaissance. Le temps des fictions était passé, et, dans l’agitation profonde que la France imprimait à l’Europe, les littératures diverses pouvaient se proposer une belle œuvre : le réveil et la défense des nationalités. Venu de la France comme d’une mer agitée, le flot de 89 avait couvert l’Allemagne, et les états scandinaves en avaient ressenti les derniers frémissemens. Chaque terre devint féconde, quand elle reçut les idées nouvelles. L’Allemagne se réveilla, on sait avec quelle ardeur et quelle mâle originalité. Schiller et Goethe, Wieland, Jean-Paul et les Schlegel donnèrent à leur patrie le siècle littéraire qu’avaient annoncé Lessing et Klopstock. La Suède aussi vit naître une nouvelle école de poètes, dont les inspirations furent plus indépendantes.

Kellgrén, esprit plus original, mais moins grave et moins discipliné que Léopold, n’annonçait pas encore cette nouvelle école. Ses ouvrages

  1. Léopold, s’adressant, dans une de ses épîtres, à un professeur d’astronomie d’Upsal qui vient d’être décoré de l’ordre de l’Étoile polaire, s’écrie par exemple : « L’astre qui fait la beauté du Nord (l’Étoile polaire), cette belle divinité dont les regards versent des rayons consolateurs sur les flots orageux de l’Océan, vient de t’accorder ces regards qu’un amant seul peut obtenir. Réjouis-toi ; elle a vu en toi un digne pontife de ses autels ; comme elle, tu donnes de l’éclat au Nord, et de même qu’elle ne se couche jamais, ainsi mille siècles durant ton nom vivra parmi nous. Pour que tu ne perdes jamais le souvenir de ses faveurs, le dieu du Génie te fait présent aujourd’hui par la main de Gustave du portrait de ton amante ! etc. »