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théâtres, mais on fuyait la compagnie des acteurs, qu’on regardait comme des libertins et des vagabonds, de sorte que la plupart de ces artistes humiliés cédèrent la place aux comédiens du dehors et abandonnèrent leurs salles et leur répertoire aux marionnettes. Celles-ci, chose singulière, ne laissèrent pas que d’avoir d’assez vifs démêlés avec les consistoires. À Dordrecht, en 1688, la régence, cédant aux remontrances des ministres, ordonna de cesser, pendant la kermesse, les jeux de hasard, les parades et les représentations de marionnettes, et cette défense fut presque constamment renouvelée d’année en année, jusqu’en 1754[1]. Il est vrai que la plupart des autres cités néerlandaises se refusèrent à ces violences. On sait que, pendant le laborieux séjour que le célèbre Bayle fit à Rotterdam, lorsque, épuisé par la lecture, il entendait la joyeuse trompette annoncer la représentation prochaine des marionnettes, il quittait sa bibliothèque et courait jouir au grand air de sa récréation favorite[2]. Dans une description en vers que J. van Hoven a tracée, en 1709, de la kermesse d’Amsterdam (Rariteit van de Amsterdamsche kermis), cet auteur décrit un Poppespel que montre un Brabançon, et qui n’est autre que le jeu des quatre couronnes (vier-kroonen-spul), qui s’est conservé jusqu’à ce jour pour le plaisir des enfans, et aussi, comme du temps de van Hoven, pour celui de leurs parens et de leurs maîtres[3]. Un autre poète burlesque de la même époque, L. Rotgans, a introduit dans sa Kermesse de village un joueur de marionnettes qui fait danser de grandes demoiselles richement parées et de jeunes seigneurs vêtus à la dernière mode. La supériorité des marionnettes hollandaises était même alors si bien établie, que le sarcastique biographe de l’habile M. Powell reconnaissait, en 1715, que les Hollandais étaient le premier peuple du monde pour les puppet-shows[4].

À Berlin, les marionnettes subirent aussi de vives attaques. Sébastien di Scio, qui avait à Vienne, en 1705, des marionnettes renommées par la perfection de leur mécanisme, étant allé représenter dans le nord de l’Allemagne, et notamment à Berlin, la Vie, les Actes et la Descente aux enfers du docteur Jean Faust, ce spectacle produisit une impression si vive sur la population de cette ville, que le clergé s’en alarma, et que le ministre Ph.-Jacq. Spener présenta une véhémente

  1. Voyez d’intéressans détails sur ce sujet dans l’ouvrage de M. le docteur Schotel, Tilburgsche avondstonden… (Soirées de Tilbourg… ), Amsterdam, 1850, p. 208 et suiv.
  2. Ce goût bien connu de Bayle a fourni au spirituel auteur du Roi de Bohême et ses sept châteaux un demi-verset pour ses litanies de Polichinelle. Voy. P. 205.
  3. Je dois ces détails et plusieurs autres aux obligeantes communications de M. J.-J. Belinfante de La Haye.
  4. The second Tale of a tub, cité par l’auteur de Punch and Judy, p. 45.