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ne put réprimer l’indignation que lui causait le monstrueux scepticisme de Similien. Froissé de l’accueil qu’on faisait à ses conseils d’ami, celui-ci s’échauffa à son tour, et on en vint aux gros mots. — Je l’écrirai à « président ! » s’écria Mme Soulouque. — Eh bien ! répliqua avec majesté le commandant de la garde, dites de ma part à « président » qu’il est aussi bête que « présidente, » qu’il aura lui-même affaire à moi, et que, pour rentrer à Port-au-Prince, il faudra qu’il passe par mes conditions.

Similien, m’a-t-on assuré, ne pensait pas encore à cette époque tout ce que la colère lui faisait dire ; mais, ayant cru devoir se consoler de l’ingratitude des femmes, comme jadis de l’ingratitude des hommes, par un redoublement de boisson, il ne put retrouver avant la rentrée du président, le quart d’heure lucide qui lui aurait suffi pour rétracter ses imprudentes menaces. La faction ultra-noire les avait même aggravées en s’en emparant, et je laisse à penser si la présidente, Bellegarde et frère Joseph avaient tiré parti de cette circonstance dans les dénonciations quotidiennes qu’ils faisaient parvenir à Soulouque. De là l’accueil glacial fait à Similien par son excellence, qui, dès le lendemain, pour ne pas lui laisser de doute, sur sa disgrace, le tança avec une sévérité évidemment affectée à propos de quelque insignifiant détail de service. L’ex-favori crut ramener Soulouque en évoquant les souvenirs d’une vieille camaraderie ; il répondit donc en camarade, c’est-à-dire avec une familiarité qui fit froncer le sourcil à son despotique ami. Similien en conclut que la nuance amicale qu’il avait voulu donner à ses paroles n’était pas suffisamment accusée, et il l’accusa tellement que sa familiarité dégénéra en impertinence, ce qui acheva de gâter ses affaires. Il était donc de sa destinée d’être toujours incompris ! À bout d’expédiens le sentimental ivrogne se souvint qu’il lui avait suffi en pareil cas, pour reconquérir le cœur des mulâtres, de leur montrer ce qu’il en coûtait de se brouiller avec lui, et il imagina de reconquérir par un procédé analogue le cœur de Soulouque. En d’autres termes, Similien se mit à conspirer tout de bon, ce qui, le tafia aidant, ne fut bientôt un secret pour personne. Le président dissimula plusieurs mois ; puis un matin, à la parade de la garde, il dit d’un ton bref à l’ancien favori : « Général Similien, je vous retire votre commandement. Sortez d’ici, et restez aux arrêts dans votre maison jusqu’à nouvel ordre ! »

En s’entendant ainsi apostropher au milieu de cette même garde dont il avait si souvent éprouvé le dévouement fanatique, Similien crut de très bonne foi que le président était devenu fou ; mais il crut rêver lui-même quand le regard confiant et railleur qu’il avait rapidement jeté autour de lui n’eut rencontré que des regards indifférens