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la guerre entre l’Europe et la France. De 1794 à 1796, il se battit bravement en Flandre et dans les Pays-Bas, à la tête du régiment des chevau-légers de Hanovre, dont il était colonel. Il retourna sur le continent faire la triste campagne de Prusse en 1807. C’était à ce moment de sa vie un rude soldat, qui ne se ménageait pas. Il avait perdu un œil dans une rencontre auprès de Tournay ; dans une autre, auprès de Nimègue, assailli par un dragon français, il jette son sabre qui venait de se briser, prend l’homme corps à corps, l’enlève de dessus son cheval et l’emporte en travers sur le sien. Ces souvenirs de soldat ne tiennent d’ailleurs qu’une place fort secondaire dans l’existence du roi Ernest, qui appartient presque toute entière aux luttes et aux passions politiques dont l’Angleterre devait être le théâtre, aussitôt qu’on allait toucher à sa constitution.

Le duc de Cumberland avait la raideur et l’obstination de son père ; mais il n’avait pas, comme George III, ce fond d’habitudes et de mœurs privées, ce tempérament vraiment anglais avec lequel celui-ci se donnait volontiers pour un simple gentleman du Berkshire : il avait gardé une empreinte plus dure de l’origine allemande des princes de son sang. Il était allemand de sa personne, de ses goûts, de ses manières. Il y a tel instant de sa vie où on lui trouverait tout l’air d’un des mauvais petits souverains de l’Allemagne du XVIIIe siècle ; il devait pourtant, à l’heure de sa mort, compter dans le petit nombre des souverains allemands de ce siècle-ci qui n’ont point été au dessous de leur position. C’est qu’il avait gagné du moins à la pratique des vieilles institutions anglaises une sorte de droiture et d’inflexible consistance qui lui a fait un caractère distinctif, un vrai mérite au milieu des esprits vacillans et des contradictions perpétuelles de ses frères en royauté.

C’était un pur tory de la plus ancienne école, a staunch and sterling tory ; seulement il n’avait rien de ces qualités ou même de ces défauts britanniques avec lesquels il eût pu compenser ou couvrir l’impopularité de ses opinions. Aussi peu scrupuleux dans ses plaisirs que son frère George IV, il ne se conciliait point l’indulgence par la bonne humeur et la bonne grâce qui faisaient aimer son frère. Autant celui-ci était prodigue, autant le duc de Cumberland était économe et rangé dans ses dépenses. Il administrait avec sévérité le médiocre revenu qui constituait toute sa fortune, 12, 000 livres qu’il tenait du vote des chambres, — et qu’il a même gardées, une fois monté sur le trône de Hanovre, malgré les remarques désobligeantes qu’il s’est attirées par là. Il n’avait d’aucun côté l’humeur démonstrative et parleuse. Tout en voulant être un homme politique, il n’aimait point ces exhibitions bruyantes qui sont inséparables de la vie publique en Angleterre ; il ne lui allait pas de présider des meetings ou des dîners ; il lui manquait cette essentielle vertu d’un Anglais de distinction, d’être un bon chairman et de bien porter un toast. C’est ainsi que la physionomie du duc de Cumberland prit de plus en plus aux yeux de ses contemporains d’autrefois je ne sais quel sombre aspect, dont la mémoire ne s’est un peu effacée qu’à mesure que les colères qu’il avait soulevées ont elles-mêmes disparu de la scène. Les radicaux et les whigs l’exécraient. Les tories, qu’il protégeait de sa hautaine assistance, n’avaient alors pour lui qu’une affection très tempérée, qui ne les empêchait pas d’accueillir les rumeurs odieuses dont on essayait d’accabler sa réputation. Ce fut de la sorte qu’en 1810