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à tout prendre, que le prolongement du parti Barnave et Lameth. Ce dernier, plus coupable que la gironde parce qu’il est plus éclairé, peut être jugé d’un seul mot : il a cru à l’intrigue ; il s’est pris et embarrassé dans les pièges qu’il avait tendus ; rien n’était plus naturel. Que n’a-t-on pas dit sur la fatalité de la révolution ! Que de regrets, que de larmes versées sur ces hommes que les événemens dominent, et qui sont comme livrés pieds et poings liés aux faits ! Oh ! oui, la fatalité était inévitable avec une conduite aussi louche, aussi tortueuse, et en vérité elle reparaîtra, n’ayez peur, cette fatalité, toutes les fois que l’intrigue remplacera la sincérité. Si nous connaissions mieux l’essence et les effets de la liberté humaine, peut-être cesserions-nous de crier contre la fatalité de la révolution ; si nous savions mieux que l’acte que nous créons librement, aussitôt créé, échappe à notre contrôle, devient indépendant de nous, et porte malgré nous toutes ses conséquences, nous ne nous étonnerions plus des malheurs et des crimes de la révolution, car là où les fautes et les sottises ont été multipliées, les malheurs et les désastres doivent l’être également. On peut donc soutenir que tout relève du libre arbitre humain dans la révolution, depuis la fondation du club des jacobins par MM. Duport et Lameth jusqu’à l’échafaud où ce même club des jacobins fit monter ses fondateurs. Je sais tout ce qu’on peut dire en faveur de ce parti, tout ce que sa jeunesse excuse, tout ce que les vices du temps expliquent, et tout ce que son sort a de touchant ; mais il ne faudrait pas une très grande habileté ni même une bien grande partialité pour montrer que c’est sur lui que doit peser principalement la responsabilité de la révolution tout entière, et qu’à lui seul il pourrait justifier ce mot de Royer-Collard : « Notre histoire est, depuis cinquante ans, la plus grande école d’immoralité. »

Il n’y a pas d’ailleurs dans les deux partis un seul homme doué du véritable esprit politique. Je me trompe, il en est un : c’est Mirabeau ; lui seul comprit ce qu’il fallait faire ; lui seul connut le nœud qu’il fallait défaire ou couper. Nous savons aujourd’hui ce qu’il a voulu, et s’il ne l’a pas réalisé, ce n’a pas été sa faute, mais celle des hommes qui l’entouraient. Mirabeau a porté, dans la poursuite de ses vues, une ardeur, un feu, un dévouement sans bornes et une rare sincérité. La dernière publication qui a été faite sur lui nous montre son but secret ; mais, l’oserai-je dire ? en détruisant dans notre esprit l’ancien Mirabeau, le Mirabeau révolutionnaire, elle met dans l’ombre cette partie de ses moyens, elle éclaire un côté de cette singulière figure et replonge l’autre côté dans l’obscurité. Il est à craindre que le Mirabeau monarchique ne fasse trop oublier le Mirabeau révolutionnaire, car ils se complètent et s’expliquent l’un par l’autre. Au premier abord pourtant, ils semblent contradictoires, et rien autre que la vénalité ou la versatilité ne peut les expliquer pour un esprit vulgaire. Que voulut