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garde du recueil des poésies d’Hafiz, dont toutes les pages sont écrites de sa main. L’Hafizioù est le rendez-vous de nombreux promeneurs, qui y viennent réciter les odes de leur poète favori et fumer le kalioûn au milieu des citronniers et des fleurs. Le lieu qui a reçu la dépouille mortelle de Saadi ne voit point un concours pareil de lettrés venir lui rendre hommage. Le caractère de ces deux hommes remarquables semble ainsi comme une ombre errer autour de leurs tombes. Saadi, philosophe austère, souvent cynique, avait un petit cercle de disciples dévoués que sa morale n’effrayait pas et qui se plaisaient dans ses entretiens sérieux. Hafiz, véritable Chirazien, adonné au plaisir, célébrait dans des vers séduisans les jouissances de ce monde. Cet écrivain sensualiste et mystique était bien fait pour plaire aux Persans, et il devait attirer autour de lui une foule de jeunes adeptes qui reculaient devant la sévère philosophie de son rival.

C’est à Kerim-Khân, l’usurpateur zend, que ces deux grands poètes doivent de reposer dans des sépultures dignes d’eux. Non-seulement Kerim-Khân voulut que leurs tombes fussent ciselées avec art et ornées de quelques-unes de leurs strophes les plus célèbres gravées sur l’albâtre des sarcophages, mais il lit encore élever les divân-i-khanèh dans l’enceinte desquels sont renfermés ces monumens funéraires. De plus, il affecta à chaque sépulture une certaine étendue de terre dont les revenus étaient destinés à l’entretien des deux édifices. Quand on pense que ce fut un chef de bandits qui rendit cet hommage à deux poètes illustres de la Perse, n’a-t-on pas quelque raison de s’étonner ? — Mais ce bandit fut un grand homme ; il usurpa l’autorité royale au profit de son pays qu’il sut gouverner sagement, sans vouloir prendre le titre de châh ; cet usurpateur respectait assez la couronne pour ne pas la porter, et il se contentait, pour sa gloire, du surnom de vekil ou régent. La mémoire de Kerim-Khân est encore vénérée dans toute la Perse.

Parmi les autres curiosités qui sont aux environs de Chiraz, on peut justement compter la tour dite des Mamacenis ou du Meuthamèt. Le meuthamèt Manoutchehr-Khân, gouverneur d’Ispahan à l’époque où nous visitions la Perse, avait été chargé, il y a quelques années, de diriger une expédition militaire dans des montagnes qui servaient de refuge habituel à la tribu pillarde des Mamacenis, dont les meurtres et les rapines avaient à la longue éveillé la justice et la sévérité du gouvernement. Étant parvenu à faire prisonniers un certain nombre de ces bandits, Manoutchehr-Khân, pour terrifier leurs compagnons et leur ôter l’envie de reprendre le cours de leurs crimes, imagina de faire construire dans la plaine de Chiraz et près d’une des portes une tour dans les murs de laquelle étaient réservées autant de niches qu’il avait de captifs. Il les y fit placer et maçonner vivans. On avait pratiqué à la hauteur de chaque tête une espèce de lucarne, afin qu’on pût