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jeunesse d’un être plus qu’humain. Rien qui excite la pensée, rien qui enflamme l’imagination. Toute la tâche du peintre se réduit à créer une figure qui nous charme et nous ravisse. Tous ceux qui ont vu le tableau de M. Gleyre s’accordent à reconnaître qu’il a traité cette donnée avec un rare bonheur. Le type qu’il a choisi, plein d’élégance et de souplesse, est celui d’une jeune fille âgée de seize ans, La figure vue de dos ne laisse apercevoir que le profil du visage. La nymphe appelle Narcisse, et pour enfler sa voix porte sa main à ses lèvres. Toutes les parties de ce beau corps, depuis les pieds jusqu’aux épaules, sont rendues avec une précision, une pureté que les plus habiles auraient grand’peine à dépasser. Le spectateur, en caressant du regard le dos et les hanches de cette nymphe, comprend que tous ses mouvemens sont réglés par une divine harmonie. L’œil retrouve sur cette toile tous les élémens de la beauté si habilement observés, rendus si fidèlement par les statuaires de la Grèce ; et cependant l’esprit devine sans peine que M. Gleyre n’a pas seulement consulté les marbres d’Athènes, mais bien aussi la nature dans tout son éclat, la jeunesse dans son premier épanouissement. Le souvenir des belles œuvres que l’antiquité nous a laissées a guidé sa main sans enchaîner sa pensée : au lieu du modèle transcrit, nous avons le modèle interprété. Les parties accessoires de la composition ne sont pas rendues avec moins de charme. Les plantes qui tapissent le terrain, le feuillage qui abrite la nymphe sont étudiés avec autant de soin que la nymphe elle-même. Un martin-pêcheur perché sur une branche étale aux yeux éblouis toutes les richesses de son plumage. Il est vraiment fâcheux que cet ouvrage excellent ne soit pas aujourd’hui dans la galerie du Luxembourg. Je voudrais au moins qu’un graveur habile entreprît de le reproduire. Pour accomplir une telle tâche, il faudrait un burin savant et patient. Parfois il arrive que le graveur embellit ce qu’il copie, comme l’a fait Audran pour Lebrun. Pour copier la Nymphe Écho, la plus scrupuleuse fidélité devrait s’allier au savoir le plus complet. Quoique les amateurs de peinture soient toujours jaloux des trésors qu’ils possèdent, j’aime à penser que le banquier de Cologne qui peut chaque jour contempler à loisir le tableau de M. Gleyre ne refuserait pas la permission de le graver ; car cette forme de reproduction, en popularisant l’œuvre originale, lui donnerait une valeur nouvelle.

La Mort du major Davel ne laissait pas grande liberté à la fantaisie. Cependant M. Gleyre, tout en respectant les données de l’histoire, a su composer un tableau plein d’intérêt et de grandeur. Ce personnage, peu connu en France, est populaire dans le canton de Vaud ; car il est mort martyr de son dévouement patriotique. Il voulait affranchir Lausanne de la domination bernoise. La cause était bonne et digne de son courage. Malheureusement l’intelligence de Davel n’était pas à la