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L’architecture navale a fait d’immenses progrès depuis un demi-siècle, et ces progrès, en abrégeant la durée des plus longs voyages, ont favorisé le développement des relations commerciales entre les contrées de l’Occident et les lointains rivages du Céleste Empire. Quelques années avant la révolution de 89, lorsque la France et l’Angleterre se disputaient encore la prépondérance sur les côtes de l’Inde, les navires qui se rendaient à Canton par le cap de Bonne-Espérance, partis dans les premiers jours de janvier, n’étaient de retour en Europe qu’au mois de juin de l’année suivante. Il fallait dix-huit mois, en y comprenant les relâches, pour accomplir ce double voyage. On avait grand soin alors de s’assurer le secours des vents périodiques qui conduisent les navires arabes des côtes orientales de l’Afrique aux rivages de l’Indoustan, et les jonques chinoises des bords du Céleste Empire à la presqu’île de Malacca. Ces courans atmosphériques, qui, sous le nom de moussons, font sentir leur influence alternative jusqu’aux îles Mariannes et jusqu’aux côtes du Japon, fixaient invariablement l’époque à laquelle on devait se diriger vers Canton ou vers l’Europe. Profitant de la mousson qui, de la mi-mai aux premiers jours d’octobre, souffle du sud-ouest, on arrivait en Chine au mois d’août ou au mois de septembre ; on en repartait avant la fin de février avec les vents de nord-est, qui règnent pendant le reste de l’année dans ces parages. Les cinq mille lieues qui séparent l’Europe de la Chine sont franchies aujourd’hui en moins de quatre mois. On a vu des bâtimens américains expédiés de Canton atteindre en quatre-vingt-dix jours les ports des États-Unis. Pour ces navires rapides, le cours régulier des moussons est un bienfait presque superflu ; il fût devenu une entrave, si une heureuse audace n’eût dédaigné les règles auxquelles le commerce européen avait, pendant près de deux siècles, assujetti ses opérations. Les clippers, ces hardis contrebandiers qui transportent l’opium du Bengale dans les mers de Chine, ont appris les premiers à braver la mousson contraire. Les navires de guerre et les bâtimens qui se livrent à un commerce plus régulier ont cherché une route moins directe, mais plus sûre : ils ont su découvrir, en pénétrant dans l’Océan Pacifique par un des détroits voisins de l’Equateur, le moyen non plus de vaincre, mais de tourner la mousson.

Le ministre de la marine avait pressé le départ de la Bayonnaise dans l’espoir que cette corvette pourrait arriver dans les mers de Chine avant la fin de la saison favorable ; retardés par diverses missions qui modifièrent notre itinéraire, obligés de toucher à Lisbonne et au Brésil, nous n’arrivâmes au cap de Bonne-Espérance qu’à la fin du mois d’août, et n’en partîmes que le 8 septembre 1847. Pour accomplir le voyage à contre-mousson qu’il nous fallait entreprendre, nous choisîmes la route indirecte qu’adoptent généralement les navires de