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et curieuse plutôt que méchante ne peut se détacher d’un spectacle si étrange et si nouveau pour lui.

La composition, comme on voit, est d’une extrême simplicité ; des gardes conduisent hors du tribunal une femme qu’un jugement vient de frapper, et que des gens du peuple injurient ou contemplent avidement. L’artiste a donc voulu tout laisser à l’expression. C’est l’expression seule qui peut nous apprendre quelle est cette femme ou plutôt ce qu’elle a été ; ce qu’elle souffre, ce qu’elle pense, et quel est le sort qui lui est réservé. M. Paul Delaroche n’a pas failli à ce qu’on était en droit d’attendre de lui et a dignement rempli le programme qu’il s’était imposé. Cette femme n’a plus rien dans ses vêtemens et son entourage qui rappelle son ancien rang, ni sa splendeur d’autrefois. Ainsi qu’on l’a fort justement observé, sa dignité de femme ne lui a pas permis de se draper dans sa misère et de chercher à apitoyer le peuple en étalant les baillons de sa prison. Elle s’est coiffée et vêtue aussi convenablement que ses geôliers le lui ont permis. Elle a jeté un fichu blanc sur sa robe noire et rattaché les boucles de sa chevelure, qui tombent sur le cou et les épaules, avec un ruban noir. Son costume, en un mot, est celui que peut porter la plus modeste bourgeoise de Paris, et cependant il suffit de jeter un regard sur la pâle et majestueuse figure de celle qui vient d’être condamnée et qu’on affecte de traiter comme une obscure malfaitrice, pour reconnaître la reine. Son front a perdu sa royale couronne ; mais il reste haut, et la douleur et les angoisses de sa captivité lui ont fait, avant le temps, comme un diadème de cheveux blancs. Si les chagrins et les terribles insomnies ont pâli ce teint autrefois éblouissant, creusé et bruni l’orbite de cet œil souverain, éteint son éclat et gonflé ses paupières, d’où, on ne le sent que trop, tant de larmes sont tombées ; si enfin la femme a long-temps et cruellement souffert, elle n’a jamais abdiqué. Elle est reine encore par la majesté naturelle de sa démarche, par l’indifférent mépris qu’elle ressent pour ces juges infâmes qui l’ont condamnée, pour ce misérable peuple qui la poursuit de ses clameurs ; reine par ce léger froncement du sourcil, par le gonflement involontaire de la narine, par cette amère et insensible contraction de la lèvre qui exprime à la fois la résignation et le dédain ; reine surtout par ce caractère indélébile qui se manifeste dans son attitude si pleine de dignité et dans l’ensemble de l’expression de son noble visage.

Le peintre, ayant choisi une situation passive et toute contenue, a parfaitement compris que ce moment solennel ne comportait ni gestes ni paroles. La reine se tait, et ne vit plus déjà que par la pensée. Ses bras tombent et suivent sans effort le mouvement et les ondulations du corps. Cet abandon a du charme ; il est naturel et n’exclut pas la noblesse. La physionomie est calme et réfléchie. Ce n’est pas encore la majestueuse immobilité de la mort, c’est la complète abnégation et l’impassible enthousiasme du martyre. Ces pensées que tout à l’heure elle va confier au papier, et qu’elle envoyait à sa sœur, se présentent en foule à son esprit. Elle songe d’abord au roi son mari. Innocente comme lui, elle ne demande qu’à mourir comme lui, et se propose de montrer la même fermeté dans ses derniers momens. Si elle a un profond regret, c’est d’abandonner ses pauvres enfans ; elle n’existait plus que pour eux et pour sa soeur. Elle les bénit, elle les console, elle leur adresse de suprêmes avis. Vient