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trace de l’imprévoyance. Il y a dans cet hymne harmonieux et sincère des redites sans nombre qui fatiguent l’intelligence la plus patiente. Telle idée qui, mise à sa place, éloquemment exprimée une première fois, nous frappe d’étonnement, nous charme, nous entraîne, — ramenée sans raison, exprimée une seconde, une troisième fois, dans une langue moins vive, moins colorée, semble s’étioler et passe à l’état de lieu commun. Certes, je ne veux pas contester la grandeur de l’idée générale qui domine toute cette composition ; mais je dois dire que les idées particulières qui se déduisent de cette idée générale gagneraient singulièrement à se présenter dans un ordre prévu et réglé, selon l’importance qui leur appartient. Répéter trois et quatre fois la même pensée sans y rien ajouter en la reproduisant n’est pas faire preuve de fécondité. Abrégé de moitié, l’Hymne au Christ, je n’en doute pas, doublerait de valeur. Une telle proposition sera traitée de blasphème, peu m’importe. C’est précisément parce que j’admire une moitié de cet hymne que je voudrais voir disparaître l’autre moitié, qui me gâte la première. Il y a çà et là des taches qui blessent le goût. Je ne conçois guère pourquoi le poète, s’adressant au Christ, lui parle du télescope d’Herschell et lui dit : Ta parole a semé dans le monde moral plus de vérités que notre œil, armé du télescope, ne découvre d’étoiles dans le ciel. Cette comparaison, qui serait grande et flatteuse si elle s’adressait à un philosophe, à Platon, à Leibnitz, devient mesquine et pédante quand le poète parle à Dieu même.

Les images que M. de Lamartine appelle au secours de sa pensée pour la graver plus rapidement et plus sûrement dans la mémoire du lecteur ne sont pas toujours choisies avec discernement. Parfois même, soumises à l’épreuve de l’analyse, elles ne présentent pas de sens déterminé, ou n’offrent qu’un sens désavoué par la raison. Quand le poète dit au Christ : Ton éclipse est bien sombre, il ne dit rien que nous puissions comprendre, car cette image, tirée de l’étude des corps céleste, avait besoin d’un complément pour offrir à l’intelligence une idée précise ; un corps ne s’éclipse pas lui-même, et le Christ, comparé au soleil, est logiquement obligé d’accepter cette condition. Je n’aime pas la vérité chrétienne rongée par la rouille des temps. L’astronomie ne porte pas bonheur à M. de Lamartine. Après avoir parlé de l’éclipse du Christ sans nous expliquer comment et pourquoi le Christ nous est caché, il revient sur cette comparaison dont nous sommes séparés par un grand nombre de strophes, et cette fois il prend à tâche de lui donner plus de précision et de clarté. Hélas ! il eût mieux valu y renoncer que d’y revenir pour aggraver sa faute. La terre, selon M. de Lamartine, projette son ombre sur l’étoile du Christ, et voilà pourquoi le Christ s’obscurcit à nos yeux. Si cette explication n’a pas le mérite de la vérité, elle a du moins le mérite de la nouveauté. Nous, placés sur la terre qui projette son ombre sur l’étoile du Christ, qui, dans la pensée du