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la poésie païenne n’apercevait rien au-delà des sens ; moins riche en images que le cantique de Salomon, elle circonscrivait sa tâche dans les mêmes limites. C’est pourquoi l’élégie de M. de Lamartine me semble réunir tous les caractères de l’originalité : je l’admire et je l’aime comme une œuvre belle et sincère.

Les Harmonies poétiques, publiées sept ans après les dernières Méditations, nous montrent le génie du poète, sinon sous un aspect nouveau, du moins appliqué à des sujets d’un ordre plus sévère. Sauf quelques rares exceptions, les deux premiers recueils étaient consacrés à l’expression de l’amour ; la philosophie, la religion, ne tenaient pas alors la première place dans la pensée de l’auteur : les Harmonies sont presque toutes consacrées à l’expression du sentiment religieux. Le style des Méditations s’est-il agrandi, s’est-il épuré dans les Harmonies ? Question délicate que bien peu de lecteurs songeront à se poser, dont la solution, quelle qu’elle soit, paraîtra sans doute téméraire aux admirateurs de M. de Lamartine. Si je dis qu’il est pareil à lui-même, on me reprochera de parler pour ne rien dire ; si j’ose affirmer que son style a perdu en limpidité ce qu’il a gagné en abondance, on m’accusera de blasphème ; si d’aventure je trouve qu’il a grandi, on me répondra qu’il ne pouvait pas grandir, puisqu’il avait déjà touché les cimes les plus hautes de la poésie, et pourtant parmi ces trois solutions je suis forcé de choisir la seconde comme la seule qui traduise fidèlement ma pensée. Toutefois, malgré cette restriction qui me semble justifiée par l’évidence, je suis loin de placer les Harmonies au-dessous des Méditations. Si l’analyse du langage ramené à ses lois fondamentales m’oblige de préférer le style des Méditations au style des Harmonies, je reconnais que l’inspiration n’a rien perdu de sa vigueur. Malgré la permanence de l’idée religieuse, qui imprime au recueil tout entier un caractère d’unité, il y a dans les pièces dont ce recueil se compose plus de variété que dans les Méditations.

Jéhovah ou l’idée de Dieu suffirait seul à démontrer ce que j’avance. La division de ce poème lyrique est pleine à la fois de grandeur et de sévérité : d’abord l’idée de Dieu écrite dans la nature entière. — Depuis la mousse que nous foulons aux pieds, depuis l’insecte que nous écrasons sous nos pas jusqu’au soleil qui nous éclaire, jusqu’aux étoiles sans nombre qui resplendissent dans l’azur du ciel, il n’est pas une page de la création qui, selon l’expression biblique, ne raconte la puissance divine. — Après cet exorde vraiment lyrique, le chêne et l’humanité, qui nous montrent la grandeur de Dieu sous deux formes diverses, également mystérieuses, également, impénétrables. — Puis, après cette double démonstration, le poète revient à sa première pensée, se confirme dans sa foi, et achève en quelques strophes ardentes son hymne d’amour et de reconnaissance. Il y a dans cette division quelque chose de magistral qui indique chez le poète l’élargissement de