Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 10.djvu/84

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

toute une révolution. Comment l’homme des oasis en vint-il à se soulever contre les Français, contre ceux-mêmes qui lui avaient fait un sort si doux ? Je l’ai dit, c’est exaspéré par les railleries des Arabes qu’il prêta l’oreille aux prédications anti-françaises. La question fiscale avait pu sans doute être imparfaitement résolue par nos agens : dans un recensement de plus d’un million de palmiers fait en moins de deux ans, des erreurs étaient inévitables ; mais notre administration accueillait toutes les plaintes légitimes, et promettait une révision[1]. Peut-être aurait-il été plus politique d’exempter d’impôts les Arabes propriétaires, les Ahl-ben-Ali surtout, comme cela se pratiquait sous la domination turque ; mais des théories d’égalité démocratique prévalurent sur les idées de privilèges qui pourtant se conciliaient mieux avec nos intérêts. Sans les ressentimens des nomades, sans leurs discours insolens qui faisaient honte aux gens des oasis de s’être soumis aux Français, aux chrétiens, avant d’avoir brûlé de la poudre, on peut affirmer que les menées de Bou-Zian n’auraient pu aboutir, surtout si d’autres causes d’agitation déjà indiquées n’étaient pas venues se joindre aux haines des Arabes pour servir tous les projets hostiles.

L’administration française de Biskara ne fut informée que très tard des menées de Bou-Ziban, et lorsque le mal était déjà fait. L’officier adjoint au bureau arabe, M. Seroka, sortit aussitôt avec la mission de s’assurer de l’esprit des populations, de leur porter de bonnes paroles, et de dissiper les mensonges. Il trouva tous les villages tranquilles, il fut accueilli partout comme d’ordinaire ; seulement il remarqua que l’on parlait beaucoup, que l’on se préoccupait de cet homme de Zaatcha, qui avait vu le prophète, qui tous les jours réunissait du monde, recevait des visites, tuait des moutons. Cet officier, bien au courant des mœurs indigènes, comprit alors la gravité du péril. Demander des renforts, des instructions, lorsqu’il voyait les germes de la révolte grandir en quelque sorte d’heure en heure à mesure qu’il se rapprochait de Zaatcha, ce n’était pas possible : il fallait sans retard enlever Bou-Zian, qui d’un jour à l’autre pouvait soulever contre nous toute la population de Zaatcha. L’officier prit avec réflexion son parti, il entra dans Zaatcha avec quelques spahis, qui enlevèrent Bou-Zian ; mais, le matin même, la guerre sainte avait été proclamée du haut de la mosquée, et le marabout, qui avait toute la ville pour complice, ne fut que quelques instans en notre pouvoir.

Cette entreprise avortée eut cependant, un heureux résultat : elle dissipa toutes nos illusions. On comprit la nécessité d’une force imposante

  1. Un palmier femelle rapporte 6 francs par an ; l’impôt français s’élève à 40 centimes ; c’est moins que le dixième des revenus qui pourrait être exigé. À Tuggurth et dans le Djerid, qui est le Sahara de la régence de Tunis, on demande un peu plus que nous à l’impôt.