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BUSY.

Je veux chasser cette idole, cette idole païenne) cette poutre monstrueuse qui blesse l’œil des frères !… Vos acteurs, vos rimailleurs, vos danseurs moresques se donnent tous la main, au mépris des frères et de la cause.

LE JOUEUR DE MARIONNETTES.

Je ne montre rien ici, monsieur, qui n’ait reçu la licence de l’autorité[1].

BUSY.

Oui, vous n’êtes que licence ! vous êtes la Licence elle-même ! Shimey !

LE JOUEUR DE MARIONNETTES.

J’ai, monsieur, la signature du maître des menus plaisirs (the master of the revel’s hand).

BUSY.

Dites la signature du maître des rebelles, la griffe de Satan ! Allez vous cacher ! fermez la bouche, bouffons ! votre profession est damnable. Plaider pour la défendre, c’est plaider pour Baal. J’ai aspiré aussi ardemment après votre destruction que l’huître aspire après la marée…

Et le bouillant puritain se fait fort de prouver sa proposition en forme. À ce défi, le malin joueur de marionnettes répond narquoisement :

Ma foi, monsieur, je ne suis pas fort instruit des controverses qui se sont élevées entre les hypocrites et nous ; mais j’ai là dans ma troupe un puppet nommé Denis (Denis de Syracuse, qui a été maître d’école) : il essaiera de vous répondre, et je ne crains pas de lui remettre ma cause.

UN SPECTATEUR.

Bien dit, bien dit ! maître Lanterne ! Je ne connais point, pour opposer à un hypocrite, de champion qui convienne mieux qu’une marionnette.

Alors s’engage entre le puritain et le puppet la controverse la plus burlesque. À la fin, épuisé et à bout d’argumens, le théologastre s’écrie : Oui, vous êtes l’abomination même, car, parmi vous, le mâle revêt l’accoutrement de la femelle, et la femelle l’habit du mâle. — Tu mens ! tu mens ! riposte le puppet. C’est là le vieil et éternel argument que vous adressez aux comédiens[2] ; mais il est sans force contre nous :

  1. Ces traits et les suivans prouvent que l’autorité exerçait une surveillance préalable sur les puppet-plays. Outre l’autorisation qu’ils devaient obtenir, les joueurs de marionnettes payaient une certaine somme aux constables. Voyez the Tatler, n° 50.
  2. , Cet argument n’a fait défaut aux puritains qu’en 1659, quand les femmes furent enfin admises à jouer sur la scène anglaise. Déjà, en 1657, mistriss Coleman avait paru dans le Siège de Rhodes, mais plutôt comme chanteuse que comme actrice. En 1629, sous Charles Ier, des comédiennes venues de France s’étaient montrées sur le théâtre de Blackfriars ; de plus, les filles françaises de la reine avaient rempli des rôles dans plusieurs masques joués à la cour, et la reine elle-même figura dans une pastorale, à Sommerset-house, aux fêtes de Noël de 1632. Cette fantaisie royale fit condamner William Prynne au pilori et lui coûta une oreille, pour avoir, dans son Histriomastix publié l’année suivante, traité brutalement de prostituée (notorious whore) toute femme qui prenait part à une représentation théâtrale.