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BEETHOVEN.

« O le plus intellectuel des maîtres de l’art ! ô toi qui as le mieux exprimé l’esprit de l’homme et le plan infiniment varié de l’univers ! quelles pensées étrangement entremêlées font naître tes chants ! Tantôt le ténor mélancolique va remuer, le cœur dans ses profondeurs, tantôt la riche basse montre la balance de la raison ; maintenant murmurent les plus doux soupirs que l’amour ait jamais connus ; puis des fantaisies soudaines, en apparence sans raison, flottent comme les souffles de la brise ; le passé est entièrement oublié, les espérances doucement respirent, et notre être entier s’illumine, lorsque tout à coup, au-dessous de cette terre fleurie, se fait entendre le sanglot profond du désespoir : effrayés, nous luttons pour nous délivrer de nos chaînes ; mais des notes triomphales éclatent aussitôt, et nous restons tes captifs. »


MOZART.

« Si Beethoven parle à l’intelligence et aux grandes passions avec une irrésistible puissance et nous transporte dans cette heure de plénitude où sa baguette magique fit surgir l’essaim mystique de ses étranges fantaisies, à toi, Mozart, l’instrument le plus beau de la nature, appartiennent les accens les plus doux et les plus profonds de la tendresse, les chants dont les anges eux-mêmes bénissent la pureté, en y reconnaissant les notes argentines des chants séraphiques ! Tristes sont les cordes de ta lyre, ame qui t’efforces de remonter au ciel ! Un amour qui ne peut être rencontré sur la terre vibre pensivement, même au milieu de ta joie ; tes notes les plus charmantes et les plus gaies elles-mêmes critiquent tristement les douces lois des affections terrestres ; cependant bénie soit cette tristesse ! l’harmonie des sphères purifie d’autant plus les cœurs, qu’elle les ouvre et les amollit davantage. »


De ces deux sonnets, nous préférons peut-être celui de Mozart ; comme exprimant mieux, à notre avis, le caractère de la musique du grand maître, comme plus pénétrant que celui de Beethoven, description parfaite d’ailleurs du génie de l’auteur de Fidelio. Ces deux sonnets nous ont paru curieux à citer comme échantillons de la poésie esthétique en Amérique.

Le sentiment de l’orgueil américain, la susceptibilité nationale, vibrent aussi çà et là dans ces poésies, mais trop rarement. Le souvenir des premiers émigrans, la description de l’Amérique lorsqu’elle était habitée par des hordes sauvages, et la comparaison de cet ancien état de barbarie avec les merveilles industrielles du XIXe siècle, sont des thèmes assez rares, mais qui se rencontrent néanmoins quelquefois. Nous avons même distingué deux ou trois pièces qui amènent le sourire sur les lèvres, et où les ombres des vieux sachems indiens apparaissent pour bénir la civilisation moderne, et semblent presque remercier le Tout-Puissant d’avoir permis que leur race fût exterminée,