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sentimens hardis incomplètement exprimés, comme si l’auteur s’épouvantait de l’audace de son cœur. Trop souvent pourtant sentimens et idées tombent dans l’alambiqué, dans la métaphysique, dans l’abstrait. Son amour pour son enfant a inspiré à Maria Brooks les plus beaux vers peut-être qu’elle ait composés. Les jeux de ce petit être qu’elle ne reverra plus, associés au souvenir des forêts, des plaines immenses, des cataractes, donnent à cet amour la grandeur et l’infini de la nature américaine. Maria Brooks me semble celle de toutes les femmes poètes du Nouveau-Monde qui a le plus en elle de l’esprit sibyllin et des inspirations des femmes célèbres de l’Europe contemporaine. Toutefois, elle n’a aucune trace de l’esprit byronien qui règne chez la plupart d’entre elles ; et, s’il nous fallait indiquer l’école poétique européenne à laquelle elle se rattache, nous citerions les noms de Southey, son admirateur, de Coleridge, de John Wilson, l’auteur de la Cité de la Peste, bien plutôt que le nom de lord Byron.

Maria Brooks est la seule exception éclatante qu’on rencontre dans le recueil de M. Griswold. Toutes ses compagnes poétiques, comme on aurait dit au XVIIIe siècle, tirent les sources de leur inspiration, non pas de leur vie individuelle, mais de leur éducation, des leçons qu’elles ont reçues ; et comme cette éducation a été à peu près la même pour toutes, il ne faut pas s’étonner s’il y a dans leurs œuvres de l’uniformité et de la monotonie. Ne nous en plaignons point pourtant, car, grace à cette uniformité, nous pouvons saisir quelques-unes des nuances du caractère américain beaucoup plus facilement que si un génie original inspirait chacun de ces poètes. Le sentiment religieux, par exemple, est partout répandu dans ces vers ; mais, le dirai-je ? j’y retrouve le même caractère que j’ai rencontré toujours dans les prosateurs américains : j’y trouve une sorte de théisme chrétien qui de plus en plus devient le caractère du protestantisme en Amérique. L’esprit du Christ souffle dans toutes leurs pages, mais la personne même du Christ y apparaît rarement. Le Christ y est bien toujours le sauveur du monde et le révélateur, mais le rédempteur crucifié semble presque oublié. Le fils de Dieu s’y manifeste tel qu’il se montra à ses disciples, lorsque, transfiguré sur le Thabor, ils le virent, éclatant de lumière, conversant avec Moïse et Élie, les prophètes de l’ancienne loi. À la place des disciples et de la foule muette d’étonnement au pied de la montagne, mettez l’humanité prosternée, et vous aurez une idée de l’esprit que les croyances religieuses adoptent de plus en plus en Amérique. Mais les souffrances de l’agonie divine, mais la croix du Golgotha, toute cette partie tragique de l’histoire du Sauveur sur la terre que les peuples du moyen-âge et les anciens chrétiens avaient éternellement dans l’esprit est presque oubliée. Nous signalons ce fait comme étant un