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bras de l’Euphrate, et, après en avoir remonté le cours sur sa rive droite jusqu’à Diadïn, petite ville complètement ruinée, où il prend sa source, nous nous en éloignâmes pour gagner Bayazid. Long-temps avant d’arriver à cette ville, nous l’aperçûmes, comme un nid d’oiseaux de proie, perchée sur de gigantesques rochers de l’aspect le plus triste. Au pied des premières éminences s’étendait une vaste plaine toute blanche, sur laquelle les montagnes de droite répandaient déjà l’ombre bleuâtre du soir ; à gauche, un pic immense élevait dans l’azur d’un ciel profond sa cime glacée que doraient légèrement les derniers rayons du soleil : c’était le mont Ararat, dont le sommet, après le déluge, dominait l’étendue de la nier sans rivage sur laquelle l’arche errait au hasard ; c’était l’écueil où les traditions disent que sont encore les restes de cette épave, berceau de l’humanité.

Le pacha de Bayazid était absent. Il était en campagne contre certaines fractions de Kurdes pillards, dont les déprédations avaient fini par lasser sa patience. Son fils nous reçut dans son palais, et nous y donna une hospitalité qui trahissait l’heureuse influence des ordres envoyés par Hafiz-Pacha. Le sérail de Belloul-Pacha, c’est ainsi que s’appelait celui dont nous étions les hôtes, est un des plus élégans et des plus somptueux monumens que l’on puisse rencontrer dans cette partie de l’Asie. Ce sérail est construit en marbre sculpté avec un art infini. Les murs en sont couverts de peintures d’un goût exquis et de boiseries travaillées avec une adresse surprenante. Les plafonds de toutes les salles sont peints des couleurs les plus brillantes et supportés par des corniches en encorbellement dont toutes les facettes sont émaillées ou dorées. Partout règne une suite d’ornemens d’un goût délicat relevé par une rare élégance d’exécution. Cette habitation princière est complète ; elle comprend une partie réservée ; qui est le sérail, c’est-à-dire la portion exclusivement consacrée au pacha et à sa famille ; à côté sont les appartemens destinés à ses hôtes. — Entre ces deux parties de l’édifice s’élève une jolie coupole à laquelle est adossé un minaret fait de marbre rose et blanc c’est la mosquée. — En avant de l’enceinte, qui comprend la mosquée et ses deux ailes, se trouvent d’autres bâtimens donnant sur une vaste cour. C’est là que sont les écuries et les logemens des serviteurs du palais ou de ceux qui y séjournent. Presque en face de l’entrée de cette demeure se voyait une espèce de petit fortin ou de maison crénelée dont l’aspect triste lui donnait l’air d’une prison. C’est là que fut enfermé pendant trois mois un Français, M. Jaubert l’orientaliste. Nous ne manquâmes point de visiter ce sombre réduit, et nous vîmes la salle basse, espèce de citerne, dans laquelle avait été descendu, à l’aide de cordes, notre infortuné compatriote, chargé par Napoléon, en 1805, d’une mission en Perse et victime de la politique ombrageuse du gouvernement turc.