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attribuent les Turcs, qui y voient les restes d’un ouvrage des guiaours ou infidèles, c’est-à-dire des chrétiens. Je n’ai pu recueillir, sur les ruines d’Erzeroum, aucun renseignement certain, et j’ai pensé que les guiaours qui auraient élevé cet édifice n’étaient autres que les Arméniens possesseurs aborigènes du pays avant l’intrusion des hordes mahométanes. Quoi qu’il en soit, à en juger par la disposition intérieure, ces curieuses ruines seraient celles d’une église. Le plan de l’édifice était fait suivant une croix latine, et la nef principale aurait été comprise entre deux rangs d’arcades, surmontés chacun d’un second étage d’arcades semblables. Les Arméniens racontent qu’il y eut, sur l’emplacement occupé par ces débris, une belle église renversée et ruinée de fond en comble par les Turcs ; mais à quelle époque, pourquoi, et à la suite de quel événement ? C’est là ce que je n’ai pu découvrir. Il est probable que la dévastation, qui semble avoir passé sur ce monument comme un ouragan furieux, remonte à l’invasion des tribus turcomanes seldjoucides, qui a couvert tout l’Orient de tant de ruines et de tant de poussière. Aujourd’hui quelques réduits abrités au milieu de ces décombres servent de magasins d’armes. Parmi ces armes, il y en a de toutes sortes, et je ne fus pas peu étonné d’en voir qui avaient dû appartenir à des guerriers de la croix. Les Turcs paraissent attacher un grand prix à la possession de ces dépouilles, qui proviennent, disent-ils, des guiaours qu’ils ont vaincus. Ces armes n’auraient-elles pas été conquises sur les infortunés croisés qui périrent dans l’Asie-Mineure, et ne faudrait-il pas y voir les tristes trophées enlevés, par les princes musulmans de Koniah, aux chrétiens massacrés dans les défilés du Taurus, ou sous les murs d’Antioche ? Il est difficile d’expliquer autrement la présence de ces armures à Erzeroum, car jamais, aux temps les plus prospères et les plus glorieux de leur puissance, les croisés ne se sont avancés jusque-là. Il ne me semble pas qu’il soit plus admissible de voir dans ces trophées des armures génoises. Aussi aventureux négocians qu’ils étaient intrépides marins, les Génois avaient bien obtenu des empereurs de Byzance des comptoirs ou colonies dans la mer Noire ; mais nul souvenir, que je sache, ne constate qu’ils aient fondé un établissement dans l’intérieur du continent asiatique. Voilà bien des hypothèses et des doutes relativement à l’intérêt moral que peuvent offrir au voyageur les vestiges du bel édifice chrétien dont Erzeroum montre encore les restes. À défaut de souvenirs historiques, les belles formes architecturales de ce monument suffiraient pour le désigner à notre attention. Extérieurement, la façade se compose d’une grande porte ogivale surmontée de chaque côté de deux espèces de petites tours à larges cannelures et dont la surface était entièrement couverte de briques émaillées. Les dessins de cette mosaïque, à en juger par ce qu’il en reste, étaient variés et d’une grande élégance. Malheureusement la dégradation qui a envahi le reste de l’édifice a