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monter sur l’échafaud ; le révolutionnaire Camille Desmoulins. Il écrivait dans le Vieux Cordelier :

« ’Lis Aristophane, qui faisait des comédies il y a trois mille ans, et tu seras étonné de l’étrange ressemblance d’Athènes et de la France démocrate ; tu y trouveras un père Duchesne comme à Paris, les bonnets rouges, les ci-devant, les orateurs, les magistrats, les motions et les séances absolument comme les nôtres ; tu y trouveras les principaux personnages du jour, en un mot une antiquité de mille ans dont nous sommes contemporains. Le plus grand divertissement du peuple à Athènes était de voir jouer sur la scène ses généraux, ses ministres, ses philosophes, et, ce qui est bien plus fort, de s’y voir joué lui-même. La seule ressemblance qui manque, c’est que, quand ses poètes le représentaient ainsi sur son opéra, et à sa barbe, tantôt sous le costume d’un vieillard, et tantôt sous celui d’un jeune homme, dont l’auteur ne prenait pas même la peine de déguiser le nom, et qu’il appelait le peuple ; le peuple d’Athènes, loin de se fâcher, proclamait Aristophane le vainqueur des jeux, et l’encourageait par des bravos et des couronnes… Notez que ces comédies étaient si injurieuses contre les ultra-révolutionnaires et les tenans de la tribune de ce temps-là, qu’il en est telle, jouée sous l’archonte Strétoclès, quatre cent trente ans avant Jésus-Christ, que, si elle était traduite aujourd’hui, Hébert soutiendrait aux cordeliers que la pièce ne peut être que d’hier, de l’invention de Fabre d’Églantine contre lui et Ronsin, et que c’est le traducteur qui est cause de la disette des subsistances… et il jurerait de le poursuivre jusqu’à la guillotine. Les Athéniens étaient plus indulgens : loin d’envoyer à Sainte-Pélagie, encore moins à la place de la Révolution, l’auteur qui décochait les traits les plus sanglans contre Périclès, Cléon, Alcibiade, contre les comités et présidens des sections, les sans-culottes athéniens applaudissaient à tout rompre, et il n’y avait de morts que ceux des spectateurs qui crevaient à force de rire d’eux-mêmes. »

Nous avons peu de détails sur Aristophane. Il était né dans la petite île d’Égine, environ 420 ans avant Jésus-Christ. Ses ennemis lui contestèrent la qualité de citoyen d’Athènes ; il s’appliqua plaisamment devant le tribunal saisi de ce procès deux vers assez naïfs que l’Odyssée place dans la bouche de Télémaque :

Je suis le fils d’Ulysse, à ce que dit ma mère ;
Pour moi, je n’en sais rien ; qui sait quel est son père ?
Odyssée, I, v. 216.

Ce fut pendant la guerre du Péloponèse qu’Aristophane donna la plupart des pièces qui fondèrent sa réputation et l’ont portée jusqu’à nous. De plus de cinquante comédies qu’il fit représenter, nous n’en connaissons que onze. Les plus célèbres sont celle des Nuées, où il attaquait la philosophie de Socrate, et celle des Guêpes, que Racine a popularisée en lui empruntant le sujet et bon nombre de plaisanteries des Plaideurs. Toutes ces pièces respirent, nous l’avons déjà indiqué, le désordre et l’audace de ce qu’en a appelé la comédie antique ; les personnages