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disproportionnés à la réalité des choses. L’article qui interdit la réélection d’un président est une des absurdités de la constitution de 1848. Le mot d’absurdité n’a rien de trop fort pour un système qui condamne un pays à n’avoir jamais qu’un novice à la tête de l’état, qui interdit au pouvoir toute vue de progrès et toute pensée d’avenir. Ce n’est ni la seule ni la plus choquante. Il ne s’agit donc ni de cet article seul, et encore moins du président actuel en particulier. Changer la constitution pour un homme serait un dévouement puéril que personne ne mérite ni n’inspire dans notre âge sceptique ; mais craindre un homme à ce point qu’on s’enferme de gaieté de cœur dans une constitution détestable pour avoir le plaisir de l’y tenir prisonnier avec soi, ce ne pourrait être que l’égarement d’une irritation exaltée.

L’important, suivant nous, c’est qu’en 1852 la France soit rendue à la liberté de ses vœux et de ses mouvemens. La constitution de 1848 semble avoir conspiré de toutes les manières contre cette liberté ; les gens qui l’ont faite avaient leur raison pour cela : c’est une constitution toute prohibitive. La moitié de ses articles est consacrée à interdire au peuple souverain de faire telle ou telle chose, d’élire celui-ci ou celui-là, de telle façon ou de telle autre. Cette constitution, qui n’oppose aucune barrière aux entreprises des factieux, a inventé mille entraves pour arrêter l’expression du vœu national. Il faut faire tomber ces liens. Qui profitera de cette liberté ? Je l’ignore, et ne veux pas même le savoir ; quel qu’il soit, il n’en profitera pas seul. Nous serons rentrés dans le vrai. La vérité est au profit de tout le monde. J’ajouterai même que, si l’on ne veut pas que la situation violente où nous sommes se dénoue au bénéfice d’un seul parti ou d’un seul homme, si l’on veut maintenir entre les diverses fractions du parti de l’ordre cette trêve de Dieu que la république a consacrée, il faut à tout prix commencer par replacer la France dans un état où elle puisse, non pas s’asseoir définitivement, mais faire halte sans trop d’inquiétude. Une société dans l’état où est la nôtre, qui n’est pas sûre du lendemain, qui ne peut jamais respirer jusqu’au fond de sa poitrine, est une société qui attend et qui appelle un sauveur ; elle est prête à se jeter dans les bras du premier qui semble lui promettre un peu de repos : c’est une carrière ouverte pour tous les coureurs d’aventures, c’est une prime incessamment offerte à tous les rêveurs de coups d’état et à tous les faiseurs de coups de main.

L’intérêt des hommes d’ordre, aussi bien leur intérêt commun dans le salut de la société que l’intérêt particulier de chacun d’eux dans le maintien de l’équilibre des partis, commande donc impérieusement la réforme de la constitution. Ils le sentiront tous, ils le sentent déjà, j’en suis sûr. À la voix de l’intérêt d’ailleurs se joint la voix de l’honneur.