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d’accord sur tous les points. Une telle profession eût été ridicule et au fond peu digne d’eux : c’eût été reconnaître qu’ils avaient compromis, pendant des années, la paix de leur patrie pour des opinions irréfléchies, pour des dissentimens de peu d’importance qu’un seul jour pouvait leur faire oublier. Rien ne serait plus loin de la vérité. Le péril commun, une horreur commune pour d’épouvantables doctrines, un désir pareil de rendre un peu de repos à la France épuisée, imposaient silence à tout autre sentiment ; mais des différences qui ne portaient sur rien moins que sur la manière d’envisager tout le cours des idées et des événemens en France depuis soixante ans ne pouvaient disparaître si facilement. Trois choses de très inégale valeur séparaient les hommes de l’ordre : des ressentimens, des affections et certains principes. Il ne fallait que de la vertu pour oublier des injures ; mais on ne pouvait ni arracher son cœur, ni étouffer sa conscience. Les hommes d’ordre prirent le seul parti raisonnable : ils ajournèrent les questions qu’ils ne pouvaient résoudre en commun ; ils laissèrent à l’action salutaire du temps le soin de concilier leurs sentimens et de rapprocher leurs convictions, et en attendant ils se mirent résolûment à l’œuvre pour combattre en commun ce qui leur était également contraire, et pour rétablir en commun ce qui leur était également cher. Le fruit de cette résolution patriotique ne se fit pas attendre. Sous cette action commune et limitée, le bon ordre rentra dans les finances, la régularité dans l’administration, la fermeté dans la justice ; les recrues de l’émeute furent balayées du sol ; l’instruction publique reçut une direction religieuse ; la presse contint sa licence. La France respira. La rapidité de ce succès a fait illusion sur la possibilité de le pousser plus loin encore. On aurait bien voulu rendre complète et définitive une union si fructueuse. Avec l’instrument de cette majorité qui avait sauvé le présent, il eût été infiniment désirable de pouvoir fonder l’avenir. De là tant de solutions improvisées de tous côtés, proposées, discutées, repoussées. C’est que les divisions qui s’effaçaient dans l’ajournement et le silence ont reparu quand on a voulu les annuler tout-à-fait. Le parti de l’ordre a éprouvé à ses dépens ce que l’expérience apprend même à d’assez bons ménages : c’est qu’à moins que la sympathie des cœurs ne soit complète, une certaine réserve sur les points délicats est la meilleure sauvegarde de la paix domestique. L’union s’est rompue quand on a essayé de la rendre trop intime. Ne pouvait-on prévoir ce résultat ? Je l’ignore. À coup sûr, on ne peut pas aujourd’hui le méconnaître.

Le point à éclaircir maintenant est celui-ci. La conduite qui avait si bien réussi au parti de l’ordre, cette conduite qui ajourne tous les sujets de dissentimens et concentre sur les questions urgentes le concours