Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 10.djvu/58

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’homme, et cette chevelure, bouclée sur le cou et autour du visage, lui donnait quelque chose d’un jeune apprenti artiste de la renaissance; elle avait trop de mélancolie dans l’habitude de la physionomie pour rappeler le page espiègle ou le seigneur enfant du manoir. L’intelligence et la fierté régnaient sur ce front pur, tandis que le regard modeste et doux semblait vouloir abdiquer tous les droits du génie et tous les rêves de la gloire.

Elle sourit à Celio, me tendit la main, et referma le paravent pour achever sa besogne.

— Vous voilà donc dans notre secret, reprit le marquis. Je ne puis le placer en de meilleures mains ; je n’ai pas voulu attendre un seul jour pour en faire part à Celio et aux autres enfans de la Floriani. J’ai dû tant à leur mère ! mais ce n’est pas avec de l’argent seulement que je puis m’acquitter envers celle qui ne m’a pas secouru seulement avec de l’argent ; elle m’a aidé et soutenu avec son cœur, et mon cœur appartient à ce qui survit d’elle, à ces nobles et beaux enfans qui sont désormais les miens. La Floriani n’avait laissé qu’une fortune aisée. Entre quatre enfans, ce n’était pas un grand développement d’existence pour chacun. Puisque la Providence m’en fournit les moyens, je veux qu’ils aient les coudées plus franches dans la vie, et je les ai tout de suite appelés à moi pour qu’ils ne me quittent que le jour où ils seront assez forts pour se lancer sur la grande scène de la vie comme artistes; car c’est la plus haute des destinées, et, quelle que soit la partie que chacun d’eux choisira, ils auront étudié la synthèse de l’art dans tous ses détails auprès de moi.

— Passez-moi cette vanité ; elle est innocente de la part d'un homme qui n’a réussi à rien et qui n’a pas échoué à demi dans ses tentatives personnelles. Je crois qu’à force de réflexions et d’expériences je suis arrivé à tenir dans mes mains la source du beau et du vrai. Je ne me fais point illusion; je ne suis bon que pour le conseil. Je ne suis pas cependant un professeur de profession. J’ai la certitude qu’on ne fait rien avec rien , et que l’enseignement n’est utile qu’aux êtres richement doués par la nature. J’ai le bonheur de n’avoir ici que des élèves de génie, qui pourraient fort bien se passer de moi ; mais je sais que je leur abrégerai des lenteurs, que je les préserverai de certains écarts, et que j’adoucirai les supplices que l’intelligence leur prépare. Je manie déjà lame de Stella, je tàte plus délicatement Salvator et Béatrice, et, quant à Celio, qu’il réponde si je ne lui ai pas fait découvrir en lui-même des ressources qu’il ignorait.

— Oui, c’est la vérité, dit Celio, tu m’as appris à me connaître. Tu m’as rendu l’orgueil en me guérissant de la vanité. Il me semble que, chaque jour, ta fille et toi vous faites de moi un autre homme. Je me croyais envieux, brutal, vindicatif, impitoyable : j’allais devenir mé-