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habile que la pensée n’est savante. Si Géricault n’eût pas rencontre dans Pierre Guérin un adorateur fervent, un disciple fidèle et obstiné des principes proclamés par David, s’il n’eût pas trouvé dans ce maître habile la ferme résolution de blâmer avec dédain, de proscrire sans pitié tous les caprices de la fantaisie, s’il n’eût pas eu à soutenir des luttes sans nombre contre la tradition, qui prétendait posséder seule le secret de la beauté, il est probable que son talent n’aurait pas pris le caractère de violence et de réaction qui éclate dans ses moindres études, et qui se révèle tout entier dans son dernier ouvrage.

Confié aux soins d’un maître plus indulgent, livré tour à tour, sans contrainte, sans résistance, à l’étude de la nature et des maîtres ; Géricault ne serait jamais devenu chef d’école. Ce rôle qu’il n’a jamais rêvé n’aurait pu lui être assigné par ses camarades, qui plus tard devinrent ses élèves. Il faut donc absolument parler de Guérin, si l’on veut expliquer Géricault. Quelques phrases banales, stéréotypées depuis long-temps, sur la prédilection de la peinture impériale pour les formes académiques seraient une préface très inutile. Aussi m’abstiendrai-je de les répéter. J’aime mieux suivre les conseils du bon sens et chercher les doctrines de Guérin dans ses œuvres. Si cette voie est la plus longue, c’est aussi la plus sûre, la seule qui nous conduise au but. Une rapide appréciation des œuvres de Guérin nous permettra d’établir clairement le sens et la portée de ses doctrines. En voyant ce qu’il voulait, en comparant sa volonté à la volonté révélée par les œuvres de Géricault, nous comprendrons sans peine comment la lutte s’est terminée par l’avènement de l’école nouvelle, comment Géricault a trouvé dans la résistance même une source féconde d’énergie, comment l’obstination de son maître l’a poussé à la révolte, comment la révolte, en persévérant, a changer de nom, s’est transformée en révolution. Toute cette série d’idées, qui, réduite à des termes abstraits, ne laissait pas dans l’esprit de traces bien profondes, éclairée par le récit des faits, se grave sans peine dans toutes les mémoires. C’est pourquoi je ne crains pas de fatiguer l’attention en commençant l’histoire de Géricault par l’histoire sommaire de Pierre Guérin.

Pierre Guérin ne se recommande ni par la sévérité du dessin, ni par l’éclat de la couleur ; mais il y a dans plusieurs de ses ouvrages un mérite de composition qui ne peut être contester. Caton d’Utique déchirant ses entrailles et Marcus Sextus montrent clairement qu’ils était de bonne heure habitué à la méditation, car le premier de ces ouvrages, placé aujourd’hui à l’école des Beaux-Arts, a été conçu à l’âge de vingt-deux ans, et le Marcus Sextus, exécuté avant le départ de Guérin pour l’Italie, fut exposé deux ans plus tard. On peut critiquer sans injustice l’insuffisance du savoir anatomique dans le second de ces ouvrages, qui établit la renommée de Guérin, et dont le succès n’a