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d’opinions, de mœurs. Encore une fois, qu’est-ce qui nous fait dont hésiter ?

Est-ce la médiocrité du cadeau ? Il y a trois points dans l’Atlantique qui assurent la prépondérance maritime à la grande puissance qui parviendra à s’y établir. Ces points sont la petite île de Saint Thomas, e Môle Saint-Nicolas et la baie de Samana. Saint-Thomas, aujourd’hui l’entrepôt et le carrefour maritime de cette partie du monde, n’est qu’un rocher aride, où il faut tout apporter du dehors, même le bois et l’eau, et qui appartient d’ailleurs au Danemark. — Le Môle Saint-Nicolas est dominé par un cirque épais de hautes montagnes ; ce qui exigerait l’occupation militaire d’un territoire fort étendu ; il appartient d’ailleurs aux Haïtiens. Reste Samana : de toutes les baies du monde, la baie de Samana est à la fois la plus vaste, la plus sûre ; la mieux défendue du côté de terre et de mer, et toutes les richesses minérales et végétales, depuis l’or jusqu’au charbon, depuis le bois de construction navale jusqu’aux cultures précieuses, se trouvent accumulées dans la presqu’île qui lui donne son nom. Or, les Dominicains nous prient, non pas seulement depuis huit ans, mais depuis trente ans, de choisir entre l’abandon total de leur territoire et la cession isolée de Samana.

Est-ce l’embarras d’une occupation militaire qui nous arrête ? Pour garder ce pays, dont la population belliqueuse et dévouée nous accueillerait comme des sauveurs, il suffirait d’une guérite à côté d’un drapeau. Est-ce la crainte de mécontenter l’Angleterre ou les États-Unis ? La moitié du continent américain se lèverait pour siffler le Yankee devenu de pirate casuiste, et l’Angleterre n’aurait guère plus d’avantage à aborder le chapitre des récriminations. En sollicitant d’ailleurs chacune de son côté l’annexion ou le protectorat de l’est (sollicitations dont la preuve officielle, écrite, irrécusable existe), ces deux puissances ont implicitement proclamé, et le droit qu’ont les Dominicains de disposer d’eux-mêmes, et le droit que nous avons de répondre à leur appel.

Est-ce un scrupule vis-à-vis de l’Espagne ? L’Espagne nous mettrait la première à l’aise sous ce rapport. Elle a abdiqué de fait la souveraineté de Santo-Domingo, se contentant de réclamer, en 1830, du gouvernement de Boyer, une indemnité analogue à l’indemnité française, et les Dominicains lui offrent mieux que cette indemnité, puisqu’ils conjurent les propriétaires spoliés par les Haïtiens de venir faire valoir leurs titres et surtout leurs terres. En reprenant possession d’une île où l’esclavage est aboli, l’Espagne, métropole à esclaves, introduirait la propagande insurrectionnelle dans son propre sein, et elle a assez à faire à prémunir Puerto-Rico et Cuba contre la propagande insurrectionnelle du dehors. L’impossibilité de cette reprise de possession admise par le gouvernement de Madrid, la nécessité de se donner à une grande puissance établie pour les Dominicains, quel est le véritable