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brutale candeur. Ils sont incapables de tirer des personnages de leur fantaisie propre, sans être immédiatement absurdes ou sans tomber dans le médiocre, comme M. James ou M. Ainsworth. Il leur est impossible d’imaginer en dehors des élémens que leur fournissent le spectacle de leur temps et leurs observations personnelles ; et cette impuissance où ils sont de mentir n’est point un défaut littéraire, il s’en faut bien. C’est cette qualité, — la vérité, — qui a donné au roman anglais son incontestable supériorité sur les romans de tous les autres pays, qui a fait du roman anglais une reproduction plus fidèle des mœurs de chaque époque, un récit plus vrai de la vie et des tendances de la Grande-Bretagne que tous les mémoires historiques. Les romanciers modernes copient ce qu’ils ont vu ; ce n’est pas leur faute si la société anglaise aperçoit des taches dans le miroir. Charles Dickens, par exemple, s’avise d’écrire une histoire de voleurs : il n’ira pas inventer de fantastiques brigands ou de poétiques assassins ; il n’essaie pas de faire revivre les héroïques voleurs de grande route d’il y a deux siècles ; mais il prendra les types mêmes qu’il a rencontrés dans sa vie, les voleurs cockneys pour ainsi dire des rues de Londres, l’affreux Sikes, type repoussant de forçat en rupture de ban, le juif Fagin, pédagogue voleur, élevant des bacheliers ès-friponnerie, et cet aimable et spirituel petit filou que son adresse à détrousser les poches des passans a fait surnommer par ses camarades artful dodger. Dickens a-t–il composé son roman avec une arrière-pensée socialiste ? Non, certes il a peint ce qu’il a vu, et s’il a peint le mal il n’a pas voilé le bien à côté du juif Fagin et de Sikes, il a placé les nobles figures de l’excellent M. Bronlow et de la charmante Rose Maylie, comme il convenait de le faire dans la patrie d’Élisabeth Fry et de lord Ashley.

Cette littérature, on ne saurait trop le répéter, ne porte aucun des caractères de notre littérature socialiste ; on n’y rencontre ni sensualité, ni esprit de révolte. Il n’y a là aucune apologie de l’adultère ; on y voit quelquefois des filles perdues, mais aucune réhabilitation de la prostitution ; on y sent souvent de la pitié pour le vice, jamais on n’y lit une excuse du crime. Quant à l’esprit de révolte, aucun écrivain honorable ne le manifeste, on ne le rencontre que dans les pamphlets chartistes, et même les publications de ce parti sont relativement modérées. Là où cet esprit s’est donné le plus librement carrière, c’est dans le Purgatoire des Suicides, poème écrit par un ouvrier chartiste, Thomas Cooper. Ce poème, écrit en prison, voudrait être violent, et ne réussit qu’à être froid. Nous ne lui trouvons pas le mérite que les critiques ont bien voulu lui donner en Angleterre et même en France ; il n’est pas, assez violent pour émouvoir, et il n’est pas assez calme pour instruire et pour intéresser à la cause qu’il défend. À chaque instant, le pédantisme y étouffe la colère. Quant à la forme,