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d’une fois à mes dépens, par exemple dans la grande discussion de 1844 sur l’enseignement.

Un seul homme en France imposait au roi, et cet homme était M. le duc d’Orléans. Ce jeune, et infortuné prince avait des instincts tout différens de ceux de son père, et souvent les opposait à la vieille expérience du roi. Le duc d’Orléans savait tout ce qu’il y a de puissance dans les idées libérales ; il les aimait ou les ménageait jamais il ne les eût abandonnées. Son frère, M. le prince de Joinville, partageait ses opinions et ne les dissimulait pas. Plutôt que de les sacrifier ou de les taire, il préférait s’éloigner ; il se consolait en servant la France, et de temps en temps il soulageait son cœur dans ces lettres prophétiques que je n’ose plus même rappeler. Le duc d’Orléans, héritier présomptif du trône et chargé des destinées de sa maison, avec les mêmes sentimens, était appelé à un rôle différent. Il n’eût pas hésité à porter au roi et à appuyer énergiquement auprès de lui des inquiétudes croissantes à de ses vrais amis et les vœux de la nation. Au besoin il eût pris les rênes du gouvernement, et de son vivant il n’y eût point eu de révolution de février. Sa triste pénétration l’avait comme pressentie, et son testament fait, assez voir de quelles graves et sombres pensées s’entretenait son esprit[1].

Du moins, en mourant il avait laissé une ame digne de la sienne, pénétrée des mêmes convictions, pure et forte, sérieuse et libérale, aimant la France, en étant aimée et honorée, capable des résolutions les plus mâles et de la conduite la plus prudente. On aurait pu donner une voix à Mme la duchesse d’Orléans dans les conseils de sa maison, car enfin elle était la mère du futur roi, et son esprit comme son caractère méritaient bien qu’on daignât lui accorder un peu d’influence. Elle ne fut jamais consultée ; on l’écartait des affaires et de la politique ; on la retenait captivé dans les soins de sa douleur et de l’éducation de ses enfans.

Le roi avait enfin trouvé le ministère qui lui convenait et qu’il avait toujours demandé à Dieu, un ministère composé d’hommes capables ; mais qui ne le contrariaient pas, auxquels il livrait, sans même y regarder, toute l’administration intérieure de la France, finances, travaux publics, instruction publique, pourvu qu’ils lui laissassent la direction des hautes affaires. Peu à peu la pensée royale était devenue l’ame du

  1. Revue Rétrospective, n° 32 et 33. Appendice. Testament du duc d’Orléans. « Que le comte de Paris soit un de ces instrumens brisés avant qu’ils aient servi, ou qu’il devienne l’un des ouvriers de cette régénération sociale qu’on n’entrevoit encore qu’à travers de grands obstacles et peut-être des flots de sang qu’il soit roi ou qu’il demeure défenseur inconnu, et obscur d’une cause à laquelle nous appartenons tous, il faut qu’il soit avant tout un homme de son temps et de la nation ; qu’il soit catholique et défenseur passionné, exclusif, de la France et de la révolution. »