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en mouvement, et qu’une force plus qu’ordinaire pourrait seule arracher de leur base. Lord Stanley ne semble point très pressé d’entreprendre cette besogne ; il aime mieux que ce soit le peuple anglais qui s’en charge ; il ne compte point, pour renverser les whigs, sur les procédés de la tactique parlementaire ; il a tout l’air de ne vouloir tenir leur héritage que des prochaines élections. C’est là du moins le sens le plus clair de son dernier discours public au banquet solennel où l’avait invité la corporation des marchands tailleurs : reste à savoir si les idées qu’il a de nouveau professées en cette rencontre pourront jamais être désormais celle de la majorité du pays, si l’Angleterre le suivra dans la préférence politique qu’il n’a pas craint d’exprimer en rapprochant les deux noms de sir Robert Peel et de lord Bentinck, pour mettre le second au-dessus du premier.

Il y a précisément treize ans que la rime corporation offrait, dans la même salle, une fête semblable à sir Robert Peel ; peut-être les amis de lord Stanley ont-ils cru relever sa position publique à l’aide d’un parallèle qui ne pouvait manquer, de se présenter à tous les esprits. C’était, pour ainsi dire, du palais des marchands tailleurs que sir Robert Peel était parti pour reconquérir l’Angleterre sur les whigs ; pourquoi cette démonstration toute pareille n’inaugurerait-elle pas le triomphe de lord Stanley ? C’est qu’il n’y a guère de ressemblance sérieuse entre la condition actuelle de lord Stanley et celle était où était en ce temps-là Robert Peel. Peel était alors tout plein d’ardeur ; il avait un nouveau plan de campagne, des hommes nouveaux, un nouvel espoir. Lord Stanley ne fait que tenter un dernier effort avec ce qui lui demeure encore de partisans bien vieillis ; il les exhorte assez humblement à ne pas désespérer et non point à espérer tout ; il n’a plus ni Gladstone, ni Goulburn, ni Graham, toute cette élite qui se rangeait autour de Peel. Peel était un progressiste qui ramenait au pouvoir le parti du passé, le torysme ; mais il le régénérait en lui ouvrant l’avenir. Le torysme allait, sous sa direction impérieuse et savante, devenir le conservatisme et se plier heureusement au changement des institutions, des idées et des circonstances. La politique de lord Stanley regarde d’un autre côté ; il se propose un mouvement en arrière et non pas en avant ; il engage les tories à désapprendre les leçons qu’ils ont reçues de Robert Peel. Quelle différence encore entre les deux époques ! L’Angleterre, il y a treize ans était fatiguée de la longue inertie des whigs et n’avait rien à craindre des tories ; les trois années qui ont précédé la rentrée de Peel aux affaires étaient un temps de détresse commerciale et de mauvaise récolte. Aujourd’hui, tout le contraire : le budget regorge ; les whigs ne demandent qu’à employer cet excédant au profit commun de toute la nation. L’Angleterre industrielle et commerciale comprend trop que, par les mains de lord Stanley et de ses amis, cet excédant serait tout de suite attribué au bénéfice exclusif des propriétaires fonciers. Lord Stanley rentrera peut-être au pouvoir, grace aux chances variables des scrutins électoraux ; mais il nous paraît impossible que le pouvoir soit pour lui un instrument d’action féconde, qu’il en jouisse jamais plus efficacement qu’aujourd’hui lord John Russell, s’il reste fidèle à son torysme, s’il continue à vouloir détruire le conservatisme intelligent fondé par Robert Peel. Aucun caprice de la nation ne le suivra jusque-la