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ce travail d’unité et de concentration nécessaire aux hommes qui veulent agir sur leurs semblables, nécessaire surtout aux caractères naturellement flottans, aux esprits plus étendus que solides, aux natures subtiles et complexes dont les forces tendent toujours à s’éparpiller et à se perdre. Plus simples, il eût mieux compris sa tâche. Il lui a manqué aussi, en effet, l’intelligence franche et claire du temps où la volonté divine l’a fait naître. M. de Radowitz possède sans doute sur certains points un sentiment assez vif de l’esprit de son époque ; mais ce sentiment est confus ; et bientôt il devient erroné et dangereux, obscurci qu’il est par des sentimens contraires, par une chimérique aspiration vers un passé qui ne saurait revenir. Ces mélanges produisent toujours des résultats funestes ; lorsqu’on s’est accoutumé à l’idée de refaire ce qui a cessé d’être, lorsqu’au nom de théories impérieuses on a la prétention de recommencer l’histoire et de casser les jugemens des siècles, on est aisément conduit à porter le même esprit absolu dans les présentes, dans celles-là même qui exigent les plus délicates précautions ; c’est alors que toute résistance irrite, et qu’on va recourir, s’il le faut, à des auxiliaires qu’on a toujours redoutés et maudits. Écrivain, philosophe, publiciste, M. de Radowitz était l’adversaire de l’esprit de désordre ; homme d’état, il a voulu, pour réaliser ses projets, mettre à profit une situation révolutionnaire. Cette audace dont l’Allemagne a été surprise n’était au fond qu’une maladroite confusion d’idées, une stratégie prétentieuse et médiocre. On comprend un homme d’état vraiment hardi faisant appel, dans un cas désespéré, aux ressources populaires ; on comprend le baron de Stein tendant la main à la révolution et organisant le Tugendbund pour briser le joug de Napoléon ; voilà de l’audace, voilà une politique à la fois aventureuse et simple. Rien de moins semblable aux entreprises du baron de Stem que les subterfuges et les subtiles distinctions de M. de Radowitz. Le ministre de Frédéric-Guillaume III et l’ami de Frédéric-Guillaume IV représentent bien deux périodes toutes différentes : ici, la politique d’action ; là les rêveries du romantisme et les fausses hardiesses de L’école historique. Ce langage emprunté à la révolution, ce n’est pas à une nation irritée, comme faisait le baron de Stein, c’est aux souverains allemand que M. de Radowitz l’adressait ; aussi, loin de retirer aucun profit de son audace, il n’en recueillait que la punition. Aux yeux des peuples, il était toujours, en définitive, le partisan des monarchies féodales, l’homme qui condamnait la société moderne et voulait ramener le genre humain au XIIIe siècle ; aux yeux de l’Autriche, il était, à un certain degré, l’un des représentans de cet esprit révolutionnaire que tous les souverains de l’Allemagne, et le roi de Prusse un des premiers, étaient occupés à combattre. Il est possible que M. de Radowitz soit encore appelé à représenter les intérêts de