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et les emportemens du patriotisme, cette nomination singulière était comme un nouvel aliment jeté aux passions en feu. Quel en était le sens ? Que venait faire M. de Radowitz ? L’énigme n’était pas facile à deviner. S’il voulait continuer la même politique tour à tour audacieuse et timide ; la politique de l’imagination et de l’impuissance, pourquoi ce changement de personnes annoncé d’une manière solennelle ? N’était-ce pas lui déjà qui dirigeait les affaires, lorsque M. de Schleinitz avait la signature ? C’était donc une politique nouvelle qu’il prétendait inaugurer ? Quelle politique ? Serait-elle plus suivie et plus résolue ? ou bien au contraire était-ce l’abandon de tout ce qu’on avait tenté jusque-là ? Ces conjectures, si différentes qu’elles fussent, étaient. Egalement autorisées. La plus naturelle, celle dont l’issue des événemens paraît avoir démontré l’exactitude, c’est que M : de Radowitz avait été choisi pour détruire lui-même le fastueux et fragile édifice de l’union restreinte. L’union restreinte était son œuvre, il en avait soutenu long-temps les destinées, il avait présidé à ses premiers travaux ; maintenant que la suppression de ces ambitieux projets était nécessaire à la paix de l’Allemagne, maintenant qu’il fallait s’exposer à la colère et aux outrages du patriotisme prussien pour opérer cette fâcheuse retraite, n’était-ce pas l’auteur de tous ces embarras qui devait se sacrifier courageusement ? M. de Radowitz ne prenait donc le pouvoir que pour dissoudre l’union et pour tomber ensuite sous les coups de tous les partis. Ce résultat fut annoncé dès les premiers jours du mois d’octobre par maintes feuilles irritées, tant est grande parfois la clairvoyance de la haine. Le parti de l’extrême droite, très hostile aux plans de M. de Radowitz, mais blessé pourtant dans son orgueil prussien, était heureux d’imputer l’humiliation de la patrie à l’homme qu’il accusait de s’être laissé séduire par la révolution. Le parti constitutionnel, à qui toute confiance en M. de Radowitz était devenue impossible, prévoyait bien aussi que la Prusse allait reculer, la gauche n’avait que des paroles de dédain et riait de la duperie des libéraux. De tous côtés c’était un seul cri, un cri immense contre l’étranger, contre le soldat de Napoléon à Leipzig, contre celui qui s’était battu dans les rangs de la France à l’heure où l’Allemagne de 1813 brisait son, joug. Vainement, pour effacer ce périlleux souvenir avait-il pousse le patriotisme prussien jusqu’à la témérité la plus folle : l’accusation reparaissait, plus violente, plus envenimée, et proférée par des milliers de voix. M. de Radowitz est de ceux qui savent opposer aux fureurs populaires l’impassibilité d’une conscience satisfaite. Il, avait fait ce qu’il croyait son devoir lorsqu’il organisait l’union restreinte ; son devoir aussi, son devoir de sujet fidèle lui commandait d’ajourner son espérance, de renverser son œuvre et de subir la haine des partis ; quinze jours après son entrée au ministère,