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les doctrines contradictoires et les tumultueuses discussions d’une époque troublée, c’était une tâche qui exigeait un art accompli. M. de. Radowitz y a déployé un vrai talent de style et de mise en œuvre. Ces dialogues sont de petites scènes, ayant chacune un intérêt spécial et formant toutefois un ensemble où ces différentes parties viennent se fondre. Le lieu de la scène change souvent ; c’est tantôt la demeure du colonel d’Arnebourg, tantôt la belle vallée où le riche manufacturier Crusius a établi des usines, qui occupent des milliers de bras. Les cinq personnages de cette jolie comédie platonicienne représentent les principales directions de la conscience générale dans la société du XIXe siècle. Ici, c’est un partisan des doctrines piétistes de Berlin, M. le colonel d’Arnebgurg ; là, son frère, Detlew d’Arnebourg, intelligence impétueuse, ardente, où bouillonnent confusément les détestables théories du panthéisme et de la démagogie hégélienne. Le fabricant Crusius est un esprit sensé, tolérant, libéral, assez indifférent aux questions religieuses et très dévoué au régime constitutionnel. Le conseiller ministériel OEder, fort peu préoccupé aussi des intérêts de la religion n’a foi que dans l’absolutisme bureaucratique. Enfin le cinquième personnage, M. de Waldheim, celui qui entreprend de convertir les quatre autres et qui représente M. de Radowitz, est un catholique non moins éloigné de l’absolutisme que de l’esprit constitutionnel, et presque aussi hostile aux passions aveugles du piétisme qu’à la brutalité hégélienne ; c’est le type complet de ce qu’on appelle chez nos voisins l’école historique. M. de Radowitz n’écrit pas une satire ; ce sont des portraits qu’il trace, et des portraits où éclate toujours l’extrême bienveillance de son ame. Soit qu’il peigne la sombre frénésie de l’athée, soit qu’il condamne l’indifférence et le bon sens un peu vulgaire d’un certain libéralisme, jamais une parole dure ou railleuse n’échappe à ses lèvres ; jamais il ne flétrit son adversaire, ou ne s’efforce de le rendre ridicule. Il s’attache, au contraire, à mettre en évidence ce qu’il y a de bon dans chaque parti ; il explique. Il excuse les erreurs de l’intelligence humaine, toujours courte par quelque endroit ; il y voit une part de l’unique et éternelle vérité, et il sait bien que c’est ce mélange qui nous abuse ; enfin, si toute justification est impossible, s’il s’agit, par exemple, d’apprécier les théories de MM. Feuerbach et Stirner, il n’y a pas de colère dans ses paroles, mais une commisération profondément sentie. Le bureaucrate OEder, le piétiste Arnebourg, le libéral Crusius, l’hégélien lui-même, le farouche et violent Detlew, ne nous apparaissent pas dans ce livre comme des personnages sacrifiés au principal interlocuteur, comme les victimes nécessaires d’une discussion où la victoire est assurée d’avance à M. de Waldheim ce sont des homme sérieux, aimables, parfaitement dignes de l’estime des gens de bien ; il n’y a en jeu, dans cette vive partie, que les erreurs de leur intelligence