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à menacer l’Allemagne d’une guerre fratricide et à déchaîner la furie révolutionnaire. Par quelles voies inconnues, par quelles sinuosités mystérieuses un homme d’état avait-il pu aboutir à ces contradictions inouies ? Quel était le sens de ces métamorphoses ? Qui possédait la clé de ces arcanes ? M. de Radowitz était-il un esprit aussi dissimulé que hardi, et prétendait-il poursuivre, au milieu de mille évolutions bizarres, l’intrépide politique du baron de Stein et de Frédéric-le-Grand ? ou bien, ne fallait-il voir chez lui que de confuses rêveries, d’ambitieuses et folles chimères, destinées à faire éclater, au jour de l’action, l’impuissance d’un caractère faible ? Pendant long-temps, il ne fut guère facile d’apprécier M. de Radowitz ; les mystères dont il s’entourait, ce mélange de hardiesse et de réserve, cette position de conseiller occulte exerçant une influence réelle, mais, ne paraissant que de loin en loin sur la scène ce soin de rester à l’écart, cette affectation même de se retirer sans bruit au moment où triomphait sa pensée, tout enfin devait faire de M. de Radowitz un personnage extraordinaire. Aucun parti ne pouvait le reconnaître pour chef ou seulement lui accorder sa confiance. Détesté par ses adversaires comme un ennemi invisible dont on s’exagérait dans l’ombre la puissance et les coups, il était suspect à ceux qui honoraient ses hautes facultés et partageaient ses desseins. Au milieu de tant de ténèbres, comment porter un jugement impartial ? L’originalité même de M. de Radowitz, et, si cela peut se dire, une grande part de sa politique consistait précisément à laisser s’accréditer sur son compte des craintes ou des espoirs contraires. Bien qu’il connût tout le pouvoir de la presse et qu’il ait usé de maintes prévenances pour s’y créer des amis, ces incertitudes de l’opinion ne lui déplaisaient pas ; il semblait qu’il fût à l’aise au milieu de cette obscurité douteuse. L’heure est venue cependant où la lumière s’est faite ; M. de Radowitz a été ministre ; il a quitté le demi-jour de sa position de conseiller pour des fonctions éclatantes, et en face de l’Allemagne, en face même de l’Europe dont les regards étaient tournés vers lui, il a dû soumettre ses théories à la redoutable épreuve de la pratique. C’est aussi à partir de ce moment qu’il est devenu possible de le juger et de scruter utilement ses mystères.

La carrière de M. de Radowitz offre trois périodes distinctes : jusqu’en 1846, M. de Radowitz joue un rôle important, quoique peu actif ; il est l’ami du roi Frédéric Guillaume IV, il est son confident intime et son collaborateur secret, il s’enthousiasme comme lui pour le moyen-âge, pour une sorte de monarchie féodale, puis il ajoute à ces utopies, que son imagination rend si séduisantes, le rêve plus séduisant encore d’une grande Allemagne, unie sous un nouveau saint-empire et retrouvant, au profit des princes de Brandebourg, les jours glorieux de la maison de Souabe. En 1846, une seconde période commence ; M. de Radowitz