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et reconnurent notre domination sans brûler la moindre cartouche. Telle fut pourtant cette terrible expédition de Kabylie, dont on s’émouvait tant en France.

Le maréchal avait le projet d’opérer le désarmement de la Kabylie, comme il avait déjà opéré le désarmement du Dahra et de l’Ouérenséris. C’était là en effet le résultat logique de la conquête ; mais, pour désarmer les Kabyles, pour démembrer ces confédérations belliqueuses par des postes militaires et par des routes, il fallait plus qu’une armée expéditionnaire, il fallait une armée d’occupation. Or le maréchal était fatigué de toujours lutter contre la résistance des chambres et l’indécision du gouvernement. Après avoir conduit ses soldats jusqu’à Bougie, il fit ses adieux a l’armée qu’il avait illustrée, et quitta l’Afrique conquise par lui pour n’y plus retourner, laissant à ses lieutenans le soin de mettre la dernière main à la conquête.

Si l’on avait mis à exécution les projets formés par le maréchal, nous n’eussions pas eu à solder en 1849 les frais de l’expédition de Zaatcha et à déplorer la mort du brave général Barral, blessé mortellement le 21 mai 1850 en dispersant un rassemblement kabyle dans les montagnes des Beni-Himmel. Voici quelles étaient à ce sujet les idées du maréchal. Le Kabyle puise le sentiment de la résistance dans la possession de son fusil, de même que l’Arabe le puise dans la possession de son cheval. Tant qu’on n’aura pas désarmé l’un et démonté l’autre, ils ne subiront pas notre conquête sans protestation, Lorsque nous voudrons accomplir ce dernier acte de la conquête, nous devrons peut-être soutenir contre les indigènes une lutte suprême ; mais notre domination ne sera définitive qu’à ce prix. Une fois cet acte accompli, les zouaves et les spahis, recrutés pour moitié parmi les vaincus, suffiront à garantir à la colonisation la complète sécurité de l’Algérie. Les insurrections ne pourraient plus venir alors que de la région du désert ; mais, en portant dans le Serssous, à Laghouat par exemple, le centre de nos divisions que le maréchal Bugeaud avait déjà porté dans le Tell, on préviendrait aisément toute possibilité de révolte. Pour affamer les tribus d u désert, il n’y a qu’à leur fermer le Tell, qui est leur grenier d’approvisionnement.

J’ai suivi fidèlement toutes les phases de cette guerre d’Afrique, les hésitations des premières années, la guerre offensive portée dans le Tell, enfin la guerre en Kabylie. Si j’ai atteint le but que je m’étais proposé, on aura compris toutes les difficultés qu’une pareille guerre présentait à une armée européenne. Ces difficultés, le maréchal Bugeaud les a victorieusement surmontées une par une, on a vu comment. C’est lui qui a trouvé le secret de notre force contre les Africains, en prenant l’offensive partout où ses devanciers s’étaient tenus