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trouver. L’occupation restreinte rendait de notre côté la guerre forcément défensive.

Cette question de la guerre défensive avait été fortement agitée dans la session qui précéda l’envoi du général Bugeaud en Afrique comme gouverneur. On avait remarqué que les Arabes aussi bien que les Kabyles étaient inhabiles et impuissans dans l’attaque, que le moindre retranchement était pour eux un obstacle insurmontable, et que jamais ils n’avaient pu s’emparer même d’un simple blockaus. Il semblait donc qu’il n’y avait qu’à changer de rôle avec eux pour en avoir raison. — Pourquoi, disait-on, nous exposer à des désastres en allant les attaquer dans leurs repaires, quand nous sommes certains des battre en nous laissant attaquer par eux ? Pourquoi faire la conquête de la région du Tell, par exemple, puisque nous n’avons ni la possibilité ni le dessein de nous y établir ? Pourquoi ces lointaines expéditions, peines de dangers et vides de résultats ? Ne vaudrait-il pas mieux nous contenter de l’occupation, relativement facile, de quelques points du littoral, où nous serions sûrs du moins d’écraser les Arabes, toutes les fois qu’ils viendraient nous y attaquer ? Ainsi raisonnaient en 1840 les partisans de l’occupation restreinte, ainsi avait raisonné le général Bugeaud lui-même en 1836 ; mais l’épreuve du traité de la Tafna avait été décisive pour lui, et l’expérience avait réduit à néant ces argumens spécieux. En effet, qu’avait produit le traité de Tafna, qui nous avait forcés à l’occupation restreinte ? L’ennemi, voyant que nous n’allions plus l’inquiéter sur l’Atlas, vint bientôt nous chercher dans le Sahel. Nous n’avions sans doute qu’à le repousser loin de nos retranchemens en attendant qu’il revînt pour le repousser encore : c’est ainsi précisément que nous avions fait à Bougie ; seulement l’ennemi repoussé reparaissait le lendemain, et ces incursions quotidiennes, qui duraient depuis 1833, nous avaient coûté plus cher que n’aurait fait la conquête de toute la Kabylie. Étions-nous plus avancés cependant ? La colonisation ainsi abritée, derrière des retranchemens et des lignes de défense avait-elle pris possession de l’Algérie ? Non ; la magnifique plaine de la Seybouse était déserte, et la Mitidja dépeuplée.

Depuis dix ans, on tournait donc dans un cercle vicieux : on s’obstinait à l’occupation restreinte, parce qu’on voulait attirer la colonisation, et la colonisation ne voulait pas de l’Afrique, précisément parce que notre domination y était contestée. La nécessité pour notre armée d’étendre partout la conquête afin de la rendre effective frappa enfin l’esprit juste et pratique du général Bugeaud. Il comprit que s’arrêter c’était abdiquer, et, que ne pas poursuivre les Arabes dans le désert c’était les attirer inévitablement sur le littoral, mais ce n’était pas tout que de comprendre les conditions de la véritable guerre d’Afrique : il fallait encore la rendre praticable et possible, l’organiser en un mot.