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toutes les invasions. Ce sont eux aussi que nous avons trouvés les premiers a tous les pas de notre conquête pour nous disputer la possession de toutes les vallées et tous les passages de montagne. La première entreprise militaire un peu sérieuse depuis l’occupation d’Alger fut la prise du col de Mouzaïa en 1831, par le maréchal Clausel. Qui donc couronnait les rochers de Mouzaïa ? Les Kabyles du bey de Tittery. C’est au col de Mouzaïa précisément que nous avons perdu le plus de soldats, et les plus braves, durant cette guerre d’Afrique. Il n’y a pas dans les montagnes de la Navarre de position plus formidable, et le fameux bois de Carrascal, sur la route de Pampelune à Logroño, n’est rien à côté du bois des Oliviers, derrière les Mouzaïa sur la route de Médéah. Partout où nous avons voulu nous établir, nous avons aussitôt été inquiétés par les tribus des montagnes. Nous n’avons été maîtres de la Mitidja qu’après avoir détruit à peu près jusqu’au dernier homme les Hadjoutes de Cherchell. Ce que nous avons fait contre les Hadjoutes, il nous a fallu le recommencer contre les Hachems de Mascara, contre les Flittas de la Mina, contre les Beni-Menasser de Tenez, contre les Issers de Dellys Nos combats dans les pâtés de montagnes de l’Ouerenseris et du Dahra sont innombrables.

Autant l’Arabe des plaines est pillard et vagabond, autant le Kabyle des montagnes est industrieux et sédentaire. Ici la maison remplace la tente : l’arbre, ce signe universel de la propriété, et que l’Arabe détruit partout sur son passage en incendiant tous les ans les plaines, qui poussent ainsi une herbe plus haute et plus épaisse, l’arbre fruitier est cultivé et respecté dans les montagnes. Des clôtures protègent même l’olivier et le figuier les vergers, presque en tout point semblables à nos enclos des Pyrénées, sont garnis de ruches à miel. Dans l’antiquité, la ruche était, comme l’arbre, consacrée au dieu Terme ; c’était l’emblème de la propriété.

Le Kabyle est aussi fanatique d’indépendance que l’Arabe : seulement l’Arabe place l’indépendance dans le droit de piller et de vagabonder tout à son aise sans être inquiété nulle part ; le Kabyle, au contraire, la place dans le droit de garder sa maison et de jouir de la montagne qu’il habite. L’Arabe met cette indépendance sous la sauvegarde de la fuite ; le Kabyle, lui, n’a d’autre sauvegarde que la résistance. L’Arabe vaincu fuit encore et recommence ; le Kabyle, après s’être bien défendu, se résigne à la défaite, et, rentré dans sa maison incendiée, il envoie au vainqueur le présent de soumission. Aussi la guerre de montagne, si elle a été plus terrible, a été plus décisive et plus courte pour nos armes que la guerre du désert. Le Kabyle a sa propriété pour gage de sa parole, et il est fidèle à ses engagemens. Tandis que l’Arabe, toujours en course, passe de tribus en tribus, cherchant la diffa ou repas d’honneur, importun à ses voisins et à lui-même,