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ailleurs le principe d’autorité, y en a-t-il beaucoup qui pousseraient la sincérité jusqu’à changer ses assiettes ? La terreur n’a donc tout au plus ici que surexcité une tendance inhérente à l’esprit public haïtien, et dont la manifestation extérieure n’implique aucune révolte intérieure. Sa majesté noire a même pu soumettre impunément le sentiment monarchique de ses sujets à des épreuves fort rudes. Pour ne rien cacher, Soulouque, auprès de qui le chaste Hippolyte n’eût été naguère qu’un débraillé, et qu’on avait vu, jusqu’en 1849, notamment dans sa sanglante expédition du sud, repousser avec un vertueux effroi les agaceries féminines que l’enthousiasme et souvent, hélas ! la peur provoquaient sur son passage, Soulouque, depuis qu’il est empereur, semble tout-à-fait décidé à prendre au mot l’intrépide figure de théorique par laquelle certains discours officiels l’ont surnommé le père du peuple. Aucune dame de la cour ne sera bientôt plus, dit-on, à l’abri des formidables attentions de Faustin. Et si je révèle ces détails intimes, c’est qu’à proprement parler ce n’est point vice chez lui. L’idée de domination, surtout de royauté, ne se séparant pas, dans l’esprit de l’Africain, de celle du pouvoir discrétionnaire[1], Soulouque ne voit là de très bonne foi qu’un des mille droits superbes inhérens à la qualité d’empereur, et il exerce, ce droit avec la double sécurité d’une conscience pure et d’une santé de fer, encore une garantie de stabilité qu’il faut mettre en ligne de compte. Les gens qui spéculent sur la mort naturellede Faustin Ier risquent d’autant plus d’attendre, qu’il est d’une sobriété proverbiale à l’endroit du tafia, ce poison lent des nègres qui les tue vers la centième année.

De toutes ces garanties de sécurité et de durée il sortirait partout ailleurs une réaction de clémence : par malheur, Soulouque continue de se montrer aussi inexorable, aussi ombrageux qu’au fort même de la crise de 1848. À l’occasion de son avènement à l’empire, une proclamation avait mis à l’ordre du jour la fusion des coeurs et engagé les citoyens à se serrer la main de la réconciliation sur l’autel de la patrie.

  1. Voici une autre nuance de cette interprétation nègre du droit de domination. Après les scènes d’avril, les amis de Similien entraient quelquefois par désoeuvrement dans les otiques et disaient à la marchande du ton le plus naturel du monde : « Vous me plaisez, et quand nous aurons tué votre mari, vous serez ma femme. » Ces hommes simples se croyaient ici autant dans leur droit que croirait l’être chez nous un électeur de la minorité en disant à ses adversaires : « Je vous attends en 1852 ! »