Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 10.djvu/20

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Telle est la morale que la conscience révèle et impose à chacun de nous. Mettez la société au lieue de l’individu, cette morale subsiste tout entière. La société ne la diminue pas ; elle l’assure et la développe ; et voici les maximes politiques qu’engendrent les maximes morales que nous venons de rappeler.

1° Les nations sont libres ; : elles s’appartiennent à elles-mêmes ; elles n’appartiennent naturellement à aucun maître, à aucune famille, à aucune dynastie. Nul n’a droit sur elles. La vraie légitimité des gouvernemens est dans le consentement des peuples. Comme sur la terre tout est fait pour l’homme, ainsi dans une nation tout est fait pour la nation. Elle est obligée sans doute de faire de sa liberté un usage raisonnable ; mais elle n’est obligée que devant elle-même, et la souveraineté de sa liberté ne s’arrête que devant la souveraineté de sa raison. Elle crée, change, modifie successivement les formes des gouvernemens ; non dans l’intérêt d’une famille ou d’un homme, mais dans son intérêt propre. Il lui peut convenir d’établir les hiérarchies les plus compliquées, si ces hiérarchies lui paraissent utiles ; mais, en s’y soumettant, elle ne se soumet encore qu’à elle-même : Elle peut déléguer sa souveraineté, même à toujours, et, se donner des rois héréditaires comme des juges inamovibles ; mais, cela même, elle le fait pour soi : elle y met certaines conditions dont elle reste juge ; et des limites que la souveraineté déléguée ne peut franchir ; marque assurée qu’elle est déléguée, et subordonnée en réalité, alors même qu’elle parait élevée au-dessus de toutes les têtes. Voilà pourquoi le principe suprême, la révolution française est la souveraineté du peuple.

2° Quelque forme de gouvernement qu’une nation libre et souveraine adopte, elle doit faire régner parmi tous ses membres la justice ; et comme la justice est le respect absolu de toutes les libertés, il s’ensuit que, dans une telle nation, l’individu doit jouir d’une liberté dont la seule limite est le devoir de ne porter aucune atteinte à la liberté d’autrui. L’émancipation complète de l’individu sous les auspices de la justice, c’est là aussi la conquête de la révolution française, l’exemple qu’elle a donné au genre humain, et cet exemple, elle l’a consacré dans un corps de législation qui, d’un bout du monde à l’autre, porte le nom de législation française. Étudiez cette législation, et vous y reconnaîtrez dans toutes les parties un esprit commun de liberté civile et religieuse que toutes les autres nations imitent peu à peu, et qui leur apparaît comme le modèle de la vie intérieure des peuples libres.

3° Je sais à quel point ont abusé du beau nom de la charité civile les insensés qui, dans ces derniers temps, ont prétendu nous rapprendre les principes de la révolution française et ceux du christianisme ; mais le christianisme n’en est pas moins saint et sacré parce qu’on a travesti et défiguré son dogme le plus touchant, et la révolution française