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ainsi rejetée au second plan comme organe de notre vie politique par une autre loi qui se donne pour plus large et plus généreuse ; les élections municipale, admettent légalement ceux qui ont été légalement exclus des élections politiques. La légalité du 31 mai est contredite et infirmée par la légalité postérieure ; il y a deux suffrages qui s’appellent le suffrage universel, mais l’un ne sert qu’à rendre l’autre odieux. L’habileté de M. de Vatimesnil a été de rendre cette argumentation assez spécieuse pour convertir M. Odilon Barrot. Vainement, M. de Broglie, M. Moulin, se sont efforcés de maintenir les vrais principe de notre nouveau droit et de sauvegarder d’une si dangereuse atteinte le corps électoral à peine constitué. M. Odilon Barrot était définitivement séduit ; il a cru qu’il y avait déjà là quelque chose à faire ; il a voté pour le plan de M. de Vatimesnil, et le projet d’administration communale ainsi révisé par la commission implique très clairement un doute notable sur la bonté de la loi du 31 mai. Qu’il y ait de ces reviremens dans l’attitude des chefs du parti légitimiste, ils sont en quelque sorte obligés pour eux depuis qui s’essaient d’avoir l’air de se départir des doctrines immuables. Que les légitimistes nous dispensent de leur continuer le bon gré que nous devions leur savoir pour la part qu’ils ont prise à la loi du 31 mai, rien de mieux ; mais ce n’est point à M. Barrot que nous souhaiterons ce surcroît de vicissitudes.

En dépit de ces partis ou de ces fractions de parti qui ne montrent plus que de l’indifférence pour une loi qui fut à son heure une grande bataille gagnée sur le désordre, la réunion des Pyramides persiste énergiquement à défendre son poste, le poste de quiconque veut l’ordre véritable, non pas l’ordre en perspective et eu utopie, l’ordre dans le présent et dans la réalité. Justement alarmée par l’indécision trop apparente qui perçait sous la nouvelle attitude de M. Barrot, la réunion des Pyramides avait hâte de se mettre en mesure contre les surprises ou les exemples qui pouvaient faire dévier de nouveau une majorité encore si incertaine. Elle s’est résolûment déclarée pour la loi du 31 mai, ébranlée trop à la légère par un de ses plus illustres promoteurs. Qu’on ne trompe point, il y a là un symptôme attristant de notre état politique, et nous le constatons avec une sensible douleur : c’est de voir les chefs des différentes opinions, les chefs les plus considérables, se soucier si peu de leur corps d’armée, qu’ils vont en avant sans regarder derrière, comme si l’on devait toujours les suivre, et se faire cependant si peu suivre, qu’ils demeurent trop souvent tout seuls ; ce sont des généraux qui s’improvisent soldats d’avant-garde. Cette interversion de rôles ne profite à personne, et elle est d’autant plus blâmable, qu’elle ne provient précisément ni d’un excès d’ardeur ni d’un excès de modestie. Par une fâcheuse rencontre, à mesure que les liens des partis se relâchent, à mesure que les caprices et les vanités des individus en rompent la discipline, les chefs redoublent presque de confiance en eux-mêmes ; ils s’enorgueillissent davantage de l’ascendant qu’ils ont gagné par leur mérite, ils s’occupent moins de le faire accepter. Il est une espèce de fascination qui s’empare, à ce qu’on croirait, de l’ame la mieux trempée, une fois qu’on est arrivé jusqu’au faite des grandeurs parlementaires. La tête tournait jadis aux Césars maîtres du monde ; les maîtres de la tribune ont assurément plus de sang-froid, mais ils ne se défendent pas toujours assez contre leur propre prestige ils sont les premiers enivrés de leur gloire, ils ne doutent pas assez qu’ils