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ménageait pas réveillant sa pitié, il ordonnait que cette pauvre Messaline fût appelée le lendemain et vînt se justifier. Narcisse craignait que le soir même la beauté de Messaline n’achevât ce que le vin avait commencé. Il commande au centurion de garde d’aller tuer Messaline : c’est l’ordre de l’empereur. Le centurion obéit. Accompagné de l’affranchi Evode changé de le surveiller, il court aux jardins de Lucullus. Lepida exhortait sa fille à mourir courageusement, à se tuer d’une main ferme, à prévenir le bourreau ; Messaline approchait en tremblant le poignard de sa poitrine : le centurion la perça de son épée.

N’y a-t-il pas dans cette esquisse de la réalité plus d’émotion, plus de grandeur que dans le drame de Valeria ? Je ne dis pas, à Dieu ne plaise, qu’il suffise de transcrire l’histoire pour composer un poème. Un tel blasphème, une telle ineptie, ne sortiront jamais de ma bouche. Je dis, et j’ai la ferme conviction que tous les hommes sensés partageront moi avis, que l’histoire de Messaline offre au poète des élémens si nombreux, qu’il n’a vraiment que l’embarras du choix. Ces élémens se prêtent si docilement à toutes les exigences de l’action dramatique ; ils s’ordonnent si naturellement, ils excitent, ils enchaînent l’intérêt d’une manière si puissante, qu’il faut, pour les négliger, tourner le dos à l’évidence et se complaire dans les ténèbres. Parlerai-je du ressort puéril auquel les auteurs ont eu recours pour justifier Messaline ? La saitre romaine nous apprend que Messaline a pris le nom de Lycisca ; d’après les auteurs de Valeria c’est Lycisca qui a pris le nom de Messaline. Un tel stratagème, digne tout au plus de figurer dans un ballet, n’est-il pas ridicule dans un poème dramatique ? Je n’insiste pas. Messaline, en prenant le nom de Lycisca, voulait couvrir ses débauches. Lycisca, en prenant le nom de Messaline, jouait sa tête. Je laisse au lecteur le soin de prononcer.

Malheureusement, le style de Valeria ne rachète pas la faiblesse de la composition. Je ne parle pas des incorrections purement rhythmiques semées comme à plaisir par les auteurs. Je ne leur demande pas pourquoi ils se sont obstinés à ne voir dans Valeria, dans Antinia, que deux syllabes, tandis que l’oreille, en écoutant ces noms, s’obstine très justement à compter trois syllabes. Ce sont là des peccadilles que je ne songe pas à relever ; mais il y a dans le style de Valeria un mélange de mollesse et de trivialité que le public ne peut accepter comme l’équivalent de la franchise. Il serait trop facile de signaler un grand nombre de vers qui ressemblent à des bouts rimés. La rime n’obéit pas, mais commande, et la raison du poète s’incline devant elle. Tantôt la périphrase s’étale fastueusement comme si nous étions encore au temps de l’abbé Delille ; tant le mot vrai, qui serait accepté de grand cœur, s’il ne faisait pas tache dans la trame générale du langage, étonne l’oreille comme une dissonance. À proprement parler, dans le style de Valeria il n’y a pas de parti pris. La langue de cet ouvrage n’appartient à aucune école, car elle fait des emprunts à toutes les écoles. Indécise, flottante, tour à tour familière et chargée d’ornemens, elle ne révèle qu’une faculté sans importance en poésie, la faculté d’assembler des rimes et des images sur l’idée la plus futile. Ce n’est pas d’ailleurs le seul reproche que j’adresse au style de Valeria. Par un caprice singulier, les auteurs, qui ont foulé aux pieds toutes les traditions historiques ; et donné libre cours à leur fantaisie, comme si le nom de Messaline