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général des districts de l’intérieur ; son fils, jeune homme de vingt deux à vingt-trois ans est général en chef de l’armée : on prépare d’avance sa succession à la présidence. Ainsi tout le pays se trouve dans la main de Lopez. Jamais Francia n’a joui de plus d’omnipotence.

Tel est le Paraguay. En vérité, il faudrait être doué d’une imagination bien ardente pour y, rêver d’un appui, un auxiliaire sérieux dans les opérations que la France peut avoir à mener sur les bords de la Plata.


II. – LA CONFEDERATION ARGENTINE.

Après tout un siècle d’infructueuses tentatives, on avait été forcé de reconnaître que le Paraguay ne pouvait servir de point d’étape entre l’Atlantique et les villes fondées sur le versant des Andes. Le flot des émigrans, au lieu de remonter le Parana, s’arrêtait à son embouchure. À l’Assomption, le sang espagnol, rarement renouvelé, allait de jour en jour se fondant dans la molle race guaranie. Les nouveaux arrivans se répandaient de préférence dans la plaine de Buenos-Ayres, soumettaient les féroces tribus des pampas, et, se mêlant avec elles, donnaient naissance à une autre race d’une énergie sauvage, que nous voyons aujourd’hui imposer la loi à tout le pays, les gauchos. Ainsi furent peuplés ces vastes territoires de la Confédération Argentine, où l’on nous propose aujourd’hui de porter la guerre et l’invasion.

Entre Buenos-Ayres et le pied de la Cordilière se déroule une plaine de trois cents lieues de longueur, naturellement partagée en trois zones d’aspect fort différent. D’abord, c’est un vaste champ de trèfle et de chardons long de quatre-vingts lieues, qui chaque année subit quatre changemens à vue : verte pelouse en hiver, c’est-à-dire en juillet, il se tapisse au printemps de fleurs éclatantes, et l’été le recouvre d’une forêt de jets, épineux hauts de vingt pieds, droits comme des bouleaux, serrés comme des tiges de bambous, à travers lesquels on essaierait en vain de s’ouvrir une route ; mais, dès qu’ils sont secs, le pampero d’automne en jonche le sol et les disperse au loin. Au-delà, c’est une plane prairie où pendant cent cinquante lieues : on foule un épais gramen sans rencontrer une mauvaise herbe ; les cours d’eau qui la sillonnent vont silencieusement se perdre et s’évaporer dans des lagunes formées par les plis du terrain. Enfin commence un taillis d’arbrisseaux et d’arbres verts sous lesquels, abrité par de gracieux ombrages, on chemine sans obstacle sur un espace de quatre-vingt dix lieues. On croirait suivre les routes d’un parc ; il n’y manque que les châteaux, les manoirs, et, dans les clairières, l’aspect lointain de quelque populeuse cité.

Les premiers chevaux et le gros bétail qu’on transporta dans ces plaines s’y multiplièrent avec une telle rapidité, qu’on en compte aujourd’hui