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plus souffrir, comme elle a déjà trop souffert, de la maxime tyrannique : Salus populi suprema lex. Admettez ce qu’on a du moins très légalement, très naturellement tout le droit d’admettre ; admettez que la campagne ait le succès qui s’annonce, que ce succès si grand, si patriotique, si national, ne soit pas encore assez complet pour enlever jusqu’à ces réfractaires cantonnés dans leur citadelle légale : est-ce que cette misérable résistance pourrait jamais avoir d’effet sur les destinées du pays ? Est-ce que le pays au contraire n’aurait pas acquis une conscience bien meilleure de lui-même ? est-ce qu’il ne se serait point avancé d’un pas énorme dans sa guérison, en se prouvant, après avoir eu tant de sujets de douter de sa propre vertu, qu’il pouvait dorénavant conduire un tel effort, le soutenir et le suspendre à son gré ? Où serait le coup de désespoir dont le profit lui vaudrait la moralité qu’il pourrait ainsi tirer de cette expérience ? Il n’y a qu’un parti qui ait assez démérité de la France pour n’avoir à demander sa fortune qu’à quelque hardiesse désespérée : c’est le parti de la république violente, qui s’est un jour persuadé qu’il nous avait à jamais ravis par surprise.

Une autre objection. La révision réussit, les 188 se disloquent, et légalement la bataille est gagnée. Que fera-t-on le lendemain d’une victoire si ardemment espérée ? Nous savons d’abord que la veille du moins l’on aura fait son devoir, et c’est toujours de bon augure. Nous savons aussi que les partis, qui, dans cette éventualité, auront peut-être ajourné leurs querelles et contenu leurs prétentions rivales, y retourneront de plus belle et recommenceront les luttes interrompues, que ce sera pour eux une occasion de dresser leurs cadres. On le répète assez pour que nous ne l’ignorions pas : avec la révision octroyée, rien ne sera cependant encore fini, ce sera seulement l’ouverture d’un champ clos plus spacieux. Reste à dire si la France, qui se serait formée tout au moins dans cette épreuve, puisqu’elle en sortirait victorieuse, n’aura pas alors trouvé en elle, au plus fort même de son travail, une pensée assez claire, assez puissante, pour qu’elle s’impose à toutes les dissidences comme à toutes les rébellions. Ce n’est point trop s’aventurer de croire qu’au-dessous des partis qui s’agitent à la surface et au nom de la France, il y a dès à présent une immense quantité de citoyens qu’ils n’enrégimenteraient plus. L’histoire de nos partis prête beaucoup à l’observation philosophique. On ne peut méconnaître qu’ils se ramifient de moins en moins dans les profondeurs de la population. À mesure que l’envie de se montrer, de figurer quelqu’un, d’avoir un rôle, d’avoir un théâtre, s’est éparpillée pour ainsi dire dans la société sur un plus grand nombre d’individus, les partis sont devenus le refuge obligé de ces individus exigeans. La masse, en revanche, s’est retirée d’eux, et ne les suit plus guère que de nom. Regardez autour de vous ; consultez vos proches, interrogez le bruit de la ferme, de l’atelier, de la rue : vous ne trouverez qu’un même esprit chez tous ceux qui ont encore le goût de vivre en hommes policés, un esprit formé par toutes les données raisonnables de la tradition et du progrès. Cet esprit-là réclame énergiquement les satisfactions auxquelles il a droit, et, pourvu qu’il les obtienne, il sait le même gré à quiconque les lui procure. Il se sent plus détaché des personnes qu’on ne le veut bien dire. Il n’est ni pour la rose rouge, ni pour la rose blanche, ni pour York, ni pour Lancastre ; il est pour le triomphe le plus facile et le plus sûr