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être consulté, à la vérité, que sous toutes réserves, à l’égard de M. de Lafayette, Mirabeau, dans sa correspondance récemment publiée[1], s’exprime très violemment, à cette même date, sur le compte du commandant-général, qu’il nomme tour à tour « le sous-grand homme ou Gilles César. » - « L’intrigue, écrit-il quelques jours après l’arrestation de Favras, a redoublé d’activité et d’indifférence de moyens, au point qu’on a trouvé dans la rue une sentinelle de la garde nationale assassinée avec cet écriteau : Va dans l’autre monde attendre Lafayette. Or, vous noterez qu’aujourd’hui cette sentinelle se porte fort bien. » Le lendemain, il ajoute : « Je vous ai parlé de la scélérate facétie du garde national assassiné. Il se porte aussi bien que vous et moi. Paris n’en retentit pas moins de cris de fureur et de rage sur cet attentat imaginaire, et les bandes nationales disent tout haut que, si leur général éprouve un malheur quelconque, les nobles, les prélats, le clergé, etc., etc., serviront d’hécatombe à cette grande victime. Vous voyez que cet homme, qui du moins a le talent de tenir ses gens en haleine, a su se faire beaucoup de capitaines des gardes. » Il va sans dire que Mirabeau, qui détestait Lafayette, pousse beaucoup trop loin l’accusation en le désignant comme l’auteur même de ces événemens. M. de Lafayette, habile sans doute, mais loyal avant tout, était incapable de pareilles menées ; seulement son entourage préparait la pièce, il la prenait aisément au sérieux, et il en profitait sans trop de scrupules.

Ce fut ce qui advint dans l’affaire de Favras. Cependant les négociations avec le banquier Chomel semblaient avoir réussi ; l’emprunt devait être conclu le 24 décembre, et l’on devait toucher le soir même un premier à-compte de 300,000 francs. Il semblerait que M. de Favras conçut des soupçons le dernier jour, et fut près de tout abandonner. Il existe de lui, car rien ne se perd, un petit billet[2] adressé à M. Chomel dans la matinée, et qui le prouve. Ce billet n’est pas signé, mais il est facile, sans être expert en cette matière, de reconnaître l’écriture ferme et courante de M. de Favras, son papier bleuâtre et jusqu’au

  1. Correspondance entre le comte de Mirabeau et le comte de la Marck, publiée par M. de Bacourt ; Paris, 1851.
  2. Archives de la préfecture de police. Affaire Favras, pièce 32.