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sur la terre de Sainte-Assises, ou sur le trésor royal ; il mentionna également une vaisselle d’argent d’une valeur de 4 ou 500,000 francs, mais sans rien articuler de précis, sans nommer personne et sans prétendre être autorisé à conclure. M. Pomaret, soit qu’il soupçonnât cette affaire de n’être pas exclusivement financière, soit qu’il n’eût pas grande confiance dans ceux qui la proposaient, ne parut pas se soucier de s’en mêler, il l’ajourna ; M. de Favras n’insista point, et il n’en fut plus question.

Morel cependant n’était pas homme à lâcher sa proie. M. de Favras avait donné déjà dans le panneau, il fallait l’y pousser complètement. Une affaire de banque ne se conclut pas sans laisser de traces. Saisir un gentilhomme pauvre, déjà suspect, en flagrant délit d’un emprunt de 2 millions ; compromettre avec lui le prince qui le protégeait, c’était, pour un homme pareil, un coup de maître, c’était surtout un moyen assuré de gagner la récompense de 24,000 livres publiquement promise par le comité des recherches, et de payer une dette de 8,000 francs pour laquelle il allait être poursuivi. Il s’agissait de découvrir un banquier moins scrupuleux et plus accommodant que M. Pomaret, et l’on trouva dans M. Chomel l’homme que l’on cherchait. Sans aller aussi loin que le baron de Cormeré, frère de M. de Favras, qui prétend, dans un livre[1] écrit avec une passion très excusable, que M. Chomel ne fut que le prête-nom du comité des recherches et son agent direct, il est à croire qu’il fut au moins désigné par un membre de ce comité comme étant très propre à mener à bonne fin l’affaire en question. M. Chomel était Hollandais ; c’était un grand point, car M. de Favras, dont on connaît les anciens projets sur le Brabant, pouvait s’en servir comme d’un prétexte pour traiter avec lui. À ce titre, l’emprunt n’avait rien de suspect ; M. Chomel faisait au contraire acte de patriotisme en le fournissant, et le comte de Provence pouvait être nommé sans crainte et y souscrire sans scrupule. Plusieurs conférences eurent lieu. M. de Favras discuta lui-même les conditions de l’emprunt de 2 millions. Ces conditions furent définitivement arrêtées, sauf la ratification de Monsieur, et le comte de Provence les ratifia : cela ne peut être sérieusement contesté.

Nous arrivons ici à la partie la plus délicate de cette mystérieuse affaire. La complicité présumée du comte de Provence a seule donné une grande importance au complot véritablement fantasmagorique imputé au marquis de Favras. Monsieur conspirait-il avec Favras ? l’a-t-il poussé secrètement pour le désavouer plus tard ? Favras n’était-il, comme on l’a dit, qu’un instrument obscur qui fut brisé, au jour du danger, par la main puissante qui l’employait ? Ces questions ont agité

  1. Justification de M. de Favras, Paris, 1791.