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de ceux-là seulement qui voulurent sa mort : aux uns et aux autres il a laissé des doutes ; il a légué, je crois, des remords à plusieurs.

Le marquis de Favras était-il aussi innocent qu’on l’a dit ? était-il aussi coupable qu’on l’a prétendu ? Telles sont les questions que je me suis posées et que je tâcherai de résoudre en interrogeant toutes les pièces qui subsistent encore dans la poudre des bibliothèques, et surtout quelques documens inédits qui jettent, ce me semble, un nouveau jour sur cette affaire. J’ai entrepris cette difficile étude sans esprit de parti, mais non pas sans scrupule. Il est délicat et malaisé de remuer en ce temps-ci ces souvenirs encore brûlans, ces calomnies mal éteintes, ces irritantes controverses : 1851 et 1790 se ressemblent.. hélas ! par plus d’un point. Quand on regarde avec soin ces premiers jours de la révolution, quand on pénètre un peu familièrement dans la coulisse de leur histoire, on se reporte involontairement à notre époque, et au milieu de dissemblances notables, Dieu merci, et consolantes, on est saisi par des rapprochemens bizarres et frappans. L’histoire même de M. de Favras a eu plus d’une fois son pendant de nos jours. Ces comparaisons, je ne les ai jamais recherchées ; je n’ai pas pu non plus les éviter toujours ; elles s’imposent d’elles-mêmes. Dans le langage actuel, M. de Favras serait nommé un réactionnaire ; il a été en effet le premier réactionnaire militant, et il est mort comme tel. À ce titre seul, il aurait droit peut-être de nos jours à une biographie ; mais ce que j’ai cherché surtout dans M. de Favras, ce n’est ni le réactionnaire, ni le conspirateur, ni le personnage politique : c’est l’homme, l’homme lui-même. Considéré à ce point de vue, dans son intimité, dans sa correspondance, comme individu, comme père de famille, M. de Favras offre, je crois, un intérêt dramatique et nouveau. Ses actes politiques, on peut les juger diversement ; mais il n’y a place que pour l’admiration et la pitié devant la grandeur de son courage et l’horreur de sa fin.


I

Thomas de Mahy, marquis de Favras, naquit à Blois le 26 mars 1744 ; sa famille était noble et assez ancienne. Les Mahy portaient dès le XIVe siècle le titre d’écuyer ; plusieurs d’entre eux avaient occupé à Blois les premières places de la municipalité et de la magistrature. Par lettres patentes du mois d’août 1747, la terre de Cormeré, qui leur appartenait, fut érigée en baronnie. En un mot, le marquis de Favras, sans avoir une origine illustre, était de ces bons gentilshommes de province qui avaient plus de titres que d’écus, et qui, à cette époque, quittaient fort jeunes la maison paternelle pour aller chercher fortune à la cour. Il entra, en 1755, aux mousquetaires. Il n’y avait pas d’enfance